October 30, 2017 | Author: Anonymous | Category: N/A
. • e-mail :
. •. MOK BRONTË : table Bronte ......
ﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋ
e-mail :
[email protected]
’Ashtaroût Cahier hors-série n° 6 (décembre 2005) ~ Matriochkas & autres Lolitas / L’Eternel féminin, pp. 1-61 ISSN 1727-2009
Révélations Nouvelles sur la Sexualité Féminine ~ Cinq Conférences Liminaire
2à5
1. Argument (2) ; 2. Textes de base (2) ; 3. Exergues (3) ; 4. Sélection bibliographique (3).
I.
Que veut la femme ?
6à9
À propos de la phénoménologie de l‟attente
II.
Les perversions sexuelles au regard de la sexualité féminine
10 à 14
1. La pulsion sexuelle est un instinct perverti (10) ; 2. Les névroses sont le négatif des perversions (10) ; 3. Le déni ou désaveu (11) ; 4. Perspective structurale versus nucléaire (11) ; 5. Sur l‟articulation du complexe de castration avec le complexe d‟Œdipe (12) ; 6. La généalogie des perversions sexuelles à partir du fétichisme (13) ; 7. La généalogie des perversions sexuelles à partir de l‟autre∙jouisseur (14) ; 8. La déroute du désir chez les femmes (14).
III.
La folie de la maternité amoureuse : Freud & Lacan
15 à 29
I. Conception freudienne : 1. Libido & angoisse à l‟âge critique (15) ; 2. Méfaits de la stase sexuelle (17) ; 3. Un délire de jalousie à la ménopause (17) ; 4. Un passage à l‟acte à l‟âge critique (18). II. Conception (pseudo) lacanienne : 5. Peut-on être lacanien ? (20) ; 6. Comment « faire sa Jocaste » (20) ; 7. Du complexe d‟Œdipe au complexe de Jocaste (21) ; 8. Invariant & ré-élaboration (22) ; 9. Sexuation & insignes du père (24). III. Le désir en déroute : 10. Deux âmes secourables (26) ; 11. Rebuffade, déhiscence & claque (26) ; 12. Le sentiment maternel perverti (29).
IV.
La folie de la maternité amoureuse : Balzac
30 à 41
1. Balzac psychologue (30) ; 2. L‟histoire de « Béatrix » (30) ; 3. À la recherche du nœud de l‟intrigue (31) ; 4. Le point d‟inflexion (32) ; 5. Cette folie de la maternité amoureuse (34) ; 6. Le syndrome du fil à la patte (36) ; 7. Balzac clinicien (37) ; 8. George Sand persiste & signe (39) ; 9. En résumé (41).
V.
La sexualité féminine réduite à quelques axiomes
42 à 56
1. Une approche nouvelle de la sexualité féminine (42) ; 2. Le souci du lendemain → ou l’Attente anxieuse (42) ; 3. Le syndrome du fil à la patte → ou le Réconfort (44) ; 4. Du superlatif à l‟absolu → ou L’Unique (46) ; 5. Seule entre toutes les femmes → ou l’Élection (46) ; 6. C‟est toujours la première fois → ou la Virginité (47) ; 7. La génitalité d‟apparat → ou l’Excentration (49) ; 8. Ce qu‟il en coûte → ou la Déhiscence (55).
Hors-Texte : Le triptyque de l‟amour synonyme Bibliographie
57 58 à 61
1
ﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋ
e-mail :
[email protected]
’Ashtaroût Cahier hors-série n° 6 (décembre 2005) ~ Matriochkas & autres Lolitas / L’Eternel féminin, pp. 2-5 ISSN 1727-2009
Amine Azar
Liminaire 1. 2. 3. 4.
Argument Textes de bases Exergues Sélection bibliographique
Pour répondre à cette question on sera amené à mettre la sexualité féminine sous forme d’axiomes. Six ou sept ont paru suffire pour un premier défrichage. À cet effet, on renoue avec la méthode classique de la psychanalyse consistant à prendre à rebours la flèche du développement. Ainsi, au lieu de cibler notre investigation sur la genèse, on partira de l‟inachèvement dernier. Autrement dit, on scrutera le phénomène du retour d’âge pour y déceler les éléments significatifs de la genèse dans leur devenir. Néanmoins, au lieu de s‟assigner comme but une quelconque reconstruction du processus du développement libidinal chez les femmes, c‟est à une présentation de type structural qu‟on cherchera à aboutir. On jouera carrément la structure contre l‟histoire.
L
es Révélations nouvelles sur la sexualité féminine reprennent une série de conférences improvisées au Pinacle de Beyrouth et au Théâtre de Beyrouth en septembre et octobre 2004. Les unes ont été rédigées sur le champ (I, IV & V), les autres quelques mois plus tard (II & III). Pour éviter les évidences et les redites, certaines (I & II) ont été réduites à l‟essentiel, tandis que d‟autres (III, IV & V) ont été développées pour les besoins de la démonstration. Ce liminaire reprend en substance le prospectus d‟annonce de ces conférences.
2
Les études psychanalytiques concernant les perversions sexuelles et la sexualité féminine sont très nombreuses, et souvent de qualité. Il en est de « classiques » que nul ne devrait ignorer. J‟ai essayé d‟en donner ci-dessous une sélection. Mais les études vraiment originales et vraiment marquantes sont en petit nombre. Concernant la sexualité féminine, deux études se distinguent à mes yeux par leur pertinence : celles de Béla Grunberger (1964) et de Piera Aulagnier-Spairani (1967). On leur ajoutera éventuellement la célèbre étude de Granoff & Perrier (1964). Je vous recommande en outre les excellents Que sais-je ? de Gérard Bonnet (11983, ²1993) et de Jacques André (1994).
1
L‟approche nouvelle de la sexualité féminine qui inspire ces cinq conférences procède de la coordination de quatre points de vue. Tout d‟abord, c‟est la méthode pathologique qui sera utilisée. L‟interrogation qui servira de point de départ est celle-ci : qu‟est-ce qui correspond, du côté féminin, aux perversions sexuelles qui sont, comme la médecine légale le relève de manière empirique, l‟apanage des hommes ? 2
3
Quelques exergues, choisis dans Pascal et La Bruyère, serviront de paratonnerre pour mitiger ce que le titre de ce cycle pourrait receler de provoquant. Dans la préface de son livre La Bruyère déclare :
paume, c’est une même balle dont joue l’un et l’autre, mais l’un la place mieux. J’aimerais autant qu’on me dît que je me suis servi des mots anciens. Et comme si les mêmes pensées ne formaient pas un autre corps de discours, par une disposition différente, aussi bien que les mêmes mots forment d’autres pensées par leur différente disposition ! Les mots diversement rangés font un divers sens, et les sens diversement rangés font différents effets. (Br. 22 & Br. 23.)
Ŕ Je rends au public ce qu’il m’a prêté ; j’ai emprunté de lui la matière de cet ouvrage : il est juste que, l’ayant achevé avec toute l’attention pour la vérité dont je suis capable, et qu’il mérite de moi, je lui en fasse la restitution. Il peut regarder avec loisir ce portrait que j’ai fait de lui d’après nature, et s’il se connaît quelques-uns des défauts que je touche, s’en corriger.
Ŕ Ce n’est pas dans Montaigne mais dans moi que je trouve tout ce que j’y vois. (Br. 64.)
Cela est fort bien dit, y compris ce qui en est conclu sur le plan moral, lequel ne nous est certainement pas étranger du moment que nous nous occupons également de psychothérapie. Sur la question de l‟originalité, la première réflexion de La Bruyère et une pensée de Pascal méritent d‟être rappelées :
Sélection Bibliographique
Ŕ Tout est dit, et l’on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes, et qui pensent. Sur ce qui concerne les mœurs, le plus beau et meilleur est enlevé ; l’on ne fait que glaner après les anciens et les habiles d’entre les modernes. (Caractères, préf.)
ABRAHAM, Karl 1965 Œuvres Complètes, trad. franç. Paris, Payot, 2 vol. ANDRE, Jacques 1994 La Sexualité féminine, Paris, PUF, Qsj ?, in-12, 128p. 1995 Aux origines féminines de la sexualité, PUF, in-8°, 165p.
Ŕ Certains auteurs, parlants de leurs ouvrages, disent : « Mon livre, mon commentaire, mon histoire, etc. » Ils sentent leurs bourgeois qui ont pignon sur rue, et toujours un « chez moi » à la bouche. Ils feraient mieux de dire : « Notre livre, notre commentaire, notre histoire, etc. » vu que d’ordinaire il y a plus en cela du bien d’autrui que du leur. (Pensées, Br. 43.)
ANDRE, Serge 1986 Que veut une femme ?, Paris, Navarin, in-8°. AULAGNIER-SPAIRANI, Piera 1967 « Remarques sur la féminité et ses avatars », in Collectif, Le Désir et la perversion, Paris, Seuil, pp. 55-79. BAK, Robert C. 1953 « Le fétichisme », trad. franç. in Nouvelle Revue de Psychanalyse, automne 1970, n°2, pp. 65-75. 1968 « The phallic woman : the ubiquitous fantasy in perversions », in The Psychoanalytic Study of the Child, vol. 23, 1968, pp. 15-36.
On ne saurait être ni plus explicite ni plus pertinent. Chaque mot porte. Mais si l‟on réclame que l‟on mette absolument les points sur les « i », il suffira de se souvenir de ces trois autres pensées de Pascal :
BINET, Alfred (1857-1911) 1887 Le Fétichisme dans l’amour, préface d‟André Béjin, (Nlle) Petite Bibliothèque Payot n°393, in-12, 2001, 127p.
Ŕ Qu’on ne dise pas que je n’ai rien dit de nouveau : la disposition des matières est nouvelle ; quand on joue à la 3
BONNET, Gérard 1983 Les Perversions sexuelles, Paris, PUF, Qsj ?, in-12, 128p. 1993 Les Perversions sexuelles, 2e éd. refondue, Idem. 2001 L’Irrésistible pouvoir du sexe, Paris, Payot, in-8°, 386p.
1914a
DOR, Joël 1987 Structure & perversions, Paris, Denoël, in-8°, 285p.
« Pour introduire le narcissisme », in VIS, pp. 81-105 ; OCF, 12 : 217-245. 1917c « Des transpositions pulsionnelles, en particulier dans l‟érotisme anal », in VIS, pp. 106-112 ; OCF, 15 : 55-62. 1916-1917 Conférences d’introduction à la psychanalyse, mauvaise trad. ancienne, Payot. Trad. franç. nouvelles, Gallimard et PUF (OCF, 14). 1918b « À partir de l‟histoire d‟une névrose infantile [L‟homme aux loups] », in OCF, 13 : 1-118. 1919e « Un enfant est battu : contribution à la connaissance de la genèse des perversions sexuelles », in NPP, pp. 219-243 ; OCF, 15 : 119-146. 1923e « L‟organisation génitale infantile (à intercaler dans la théorie sexuelle », in VIS, pp. 113-116 ; OCF, 16 : 305-309. 1924d « La disparition du complexe d‟Œdipe », traduction franç. in VIS, pp. 117-122 ; OCF, 17 : 27-33. 1927e « Fétichisme », trad. franç. in VIS, pp. 133-138 ; OCF, 18 : 125-131. 1931b « De la sexualité féminine », in VIS, pp. 139-155 ; OCF, 19 : 9-28. 1933a Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, trad. nouvelle, Folio-Essais et PUF (OCF, 19). 1940e « Le clivage du moi dans le processus de défense », in Résultats, idées, problèmes, PUF, 1985, t. II, pp. 283-286. NPP Névrose, psychose et perversion, , traduit de l‟allemand sous la dir. de J. Laplanche, Paris, PUF, 1973, VIII+307p. VIS La Vie sexuelle, trad. de l‟allemand par D. Berger, J. Laplanche et collab., Paris, PUF, in-8°, 1969, 160p.
FINE, A., LE GUEN, A., & OPPENHEIMER, A. (dir.) 1993 Les Troubles de la sexualité, Paris, PUF, Monographies de la Revue Française de Psychanalyse, petit in-4°, 1993, 189p.
FRIEDMAN, Lester H. 1985 « Beating fantasies in a latency girl : their role in female sexual development », in The Psychoanalytic Quarterly, 1983, 44, pp. 569-596.
FISHER, Seymour 1973a The Female orgasm : psychology, physiology, fantasy, New York, Basic Books, gd in-8°, X+533p. 1973b Understanding the female orgasm, Harmondsworth (UK), Penguin Books, in-12, 1977, 218p.
GRANOFF, W., & PERRIER, F. 1964 Le Désir & le féminin, Paris, Aubier-Montaigne, in-8°, 1979, 113p.
CHASSEGUET-SMIRGEL, Janine 1984 Éthique & esthétique de la perversion, Seyssel, éd. Champ Vallon, L‟Or d‟Atalante, in-8°, 320p. CHASSEGUET-SMIRGEL, Janine (dir.) 1964 La Sexualité féminine, recherches nouvelles, Paris, Petite Bibliothèque Payot n° 147, 1975, in-12, 312p. CLAVREUL, Jean 1987 Le Désir et la loi, approches psychanalytiques, Paris, Denoël, L‟Espace Analytique, in-8°, 297p. (La IIe partie regroupe les textes consacrés aux perversions sexuelles.) COLLECTIFS 1967 Le Désir & la perversion, Paris, Seuil, in-8°. (Coll. Points) 1972 La Sexualité perverse, études psychanalytiques, Paris, Petite Bibliothèque Payot n°364, in-12, 1979, 258p. 1990 Traits de perversion dans les structures cliniques, Paris, Navarin, Fondation du Champ Freudien, gd in-8°, 511p. DEUTSCH, Helene 19457 La Psychologie des femmes, Paris, PUF, 2 vol., in-8°.
GRUNBERGER, Béla 1964 « Jalons pour l‟étude du narcissisme dans la sexualité féminine », in J. Chasseguet-Smirgel (dir.), La Sexualité féminine, recherches psychanalytiques nouvelles, Paris, Petite Biblioth. Payot, 1975, pp. 101-126
FLIESS, Robert 1956 Erogeneity and libido : addenda to the theory of the psychosexual development of the human, New York, International Universities Press, in-8°, XXIII+325p.
HAMON, Marie-Christine 1992 Pourquoi les femmes aiment-elles les hommes ? et non pas plutôt leur mère : essai sur Freud et la féminité, Paris, Seuil, Champ Freudien, in-8°, 380p.
FREUD, Sigmund 1905d Trois traités sur la théorie sexuelle, trad. nouvelle, Folio-Essais n°6, in12, 1985, 215p. 4
1970
HAMON, Marie-Christine (dir.) 1994 Féminité mascarade : [13] études psychanalytiques réunies par Marie-Christine Hamon, Paris, Seuil, in-8°, 380p. JONES, Ernest 1948 Théorie & pratique de la psychanalyse, trad. franç. Paris, Payot, 1969, in-8°, XXII+458p.
1978
KAPLAN, Louise J. 1991 Female perversions : the temptations of Madame Bovary, London, Penguin, 1993, in-8°, [IX]+580p.
1983
Nouvelle Revue de Psychanalyse, automne 1970, numéro 2 : « Objets du fétichisme ». (Textes de Pontalis, Rosolato, Smirnoff, Khan, Dorey. Traductions : Freud, Bak.). Revue Française de Psychanalyse, mars-avril 1978, XLII (2) : « Le Fétiche ». (Textes de Evelyne Kestemberg et de Janine Cophignon. Traductions : M. Wulff [1946], Phyllis Greenacre [1970]). Revue Française de Psychanalyse, janvier-février 1983, tome XLVII (1) : « La Perversion ».
ROSEN, Ismond (dir.) 1964 The Pathology and treatment of sexual deviation, Oxford, Oxford University Press, in-8°. 1979 Sexual deviation, second edition [recast], Oxford, Oxford University Press, in-8°, XII+556p.
KESTEMBERG, Jean 1962 « À propos de la relation érotomaniaque », in Revue Française de Psychanalyse, sept.-oct. 1962, tome XXVI (5), pp. 533-589, discussion pp. 590-604. LACAN, Jacques 1960 « Propos directifs pour un Congrès sur la sexualité féminine », repris in Écrits, Seuil, 1966, pp. 725-736. 1975 LE SEMINAIRE Ŕ Livre XX : Encore (1972-1973), Paris, Seuil, grand in-8°, 139p.
ROSOLATO, Guy 1963 « Paranoïa et scène primitive », repris in Essais sur le symbolique, Gallimard, 1969, pp. 199-241. 1967a « Étude des perversions sexuelles à partir du fétichisme », in ouvrage collectif, Le Désir & la perversion, Seuil, 1967, pp. 7-40, discussion pp. 41-52. 1967b « Généalogie des perversions », repris in Essais sur le symbolique, Gallimard, 1969, pp. 264-286. 1970 « Le fétichisme dont se dérobe l‟objet », repris in La Relation d’inconnu, Gallimard, 1978, pp. 19-30.
LAMPL-DE GROOT, Jeanne 1983 Souffrance & jouissance : le sexuel féminin, Paris, Aubier Montaigne, in-8°, 159p. LAZNIK, Marie-Christine 2003 L’Impensable désir : féminité & sexualité au prisme de la ménopause, Paris, Denoël, « L‟Espace Analytique », in-8°, 320p.
SACKS, Hanns 1923 « On the genesis of perversions », translated by Ruth B. Goldberg, introd. and discussion by Allan Compton, in The Psychoanalytic Quarterly, 1986, LV (3), pp. 474-492.
LORAND, S., & BALINT, M. (dir.) 1965 Perversions : psychodynamics and therapy, London.
SAFOUAN, Mustapha 1974 La Sexualité féminine, Paris, Seuil, in-8°.
MCDOUGALL, Joyce 1978 Plaidoyer pour une certaine anormalité, Paris, Gallimard, in-8°, 225p. 1982 Théâtres du je, Paris, Gallimard, in-8°, 249p. 1996 Éros aux mille et un visages : la sexualité humaine en quête de solutions, Paris, Gallimard, in-8°, 307p.
STOLLER, Robert J. 1975 La Perversion : forme érotique de la haine, trad. de l‟américain par H. Couturier, Paris, Payot, in-8°, 1978, 222p.
MILLER, Jacques-Alain 1989a « A discussion of Lacan‟s ‛‛Kant with Sade” », in Feldstein, Fink & Jaanus (dir.), Reading Seminars I and II : Lacan’s return to Freud, New York, State University of New York Press, 1996, pp. 212-237. 1989b « On perversion », in Idem, pp. 306-320.
WARNER, Marina 1976 Alone of all her sex :the myth and cult of the Virgin Mary, London, Picador, in-8°, 1985, XXXV+ 400+XIX p. & 40 pl. (Traduit de l‟anglais par Nicole Ménant : Seule entre toutes les femmes, Paris, Rivages, 1989, in-8°, 423p. & 40 pl.)
REVUES (quelques numéros spéciaux) 1964 La Psychanalyse, n°7 : « La sexualité féminine ». 1967 L’Inconscient, avril-juin 1967, n°2 : « La Perversion ».
5
ﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋ
e-mail :
[email protected]
’Ashtaroût Cahier hors-série n° 6 (décembre 2005) ~ Matriochkas & autres Lolitas / L’Eternel féminin, pp. 6-9 ISSN 1727-2009
Amine Azar
Que veut la femme ?
D
ans sa grande biographie de Freud, Ernest Jones nous apprend que celui-ci dit un jour à la princesse Marie Bonaparte : « La grande question restée sans réponse et à laquelle moimême je n‟ai jamais pu répondre malgré mes trente années d‟étude de l‟âme féminine est la suivante : Que veut la femme ? » (tome II, p. 445). En sommes-nous toujours au même point ? Je ne le crois pas. Je prendrai comme point de départ la description phénoménologique du rapport sexuel.
Nous assistons donc à un déplacement de la question de Freud, à une inflexion dans sa formulation. L‟homme qui a pris son pied est satisfait, il ne désire plus rien. La femme qui se donne, à supposer même qu‟elle y ait pris plaisir, ce plaisir ne la contente pas, elle veut quelque chose de plus, ou d‟autre. Que veut-elle encore ? Ou mieux : qu’attend-elle ? Voilà à mon avis ce qui serait la bonne question. Les réponses que j‟ai pu recueillir à cette question au cours de ma carrière ne sont pas univoques. Certaines femmes attendent un mot gentil, un présent, des égards. D‟autres, une belle histoire d‟amour, une demande en mariage, ou un enfant. D‟autres encore attendent d‟être rassurées : que pense-t-il de moi ? me considère-t-il comme une traînée, une fille de rien, un déchet, une crotte, une ordure ? Elles ont très souvent des doutes sur leur beauté. J‟ai trouvé dans un roman américain récent d‟un auteur à succès l‟observation suivante :
Il tombe sous le sens que les hommes et les femmes s‟y engagent différemment. Dans les cas typiques, les hommes recherchent le plaisir, et s‟y engagent dans l‟idée d‟un échange de bons procédés sans lendemain. En général, ils pensent en être quitte avec leur partenaire en supposant que le plaisir est réciproque. Ils s‟y adonnent à fond, animés d‟un esprit sportif à la recherche de performances et dans l‟idée de réaliser des prouesses. Le lendemain leur Ego est boosté. Ils se prennent pour des dieux, sont de bonne humeur, chantent, sourient. Le monde leur appartient. Ils passent pour ainsi dire par un état hypomaniaque. Du côté des femmes, en revanche, le plaisir n‟est presque jamais une priorité dans l‟acte sexuel. Dans les cas les plus typiques les femmes se donnent... littéralement. L‟orgasme vient en plus, de surcroît. Ce qui prime c‟est le don de soi. La femme est concentrée sur le plaisir de l‟homme, sur l‟envie de servir. Le lendemain la préoccupe. Elle se lève en attente de quelque chose, Ŕ anxieuse, presque déprimée.
J‟ai remarqué que la plupart des femmes ne sont pas sûres de leur corps, même lorsqu‟elles sont en tout point adorables. Elles ne le savent pas toutes. Il faut être un certain type de femme pour le savoir. La plupart se polarisent sur un détail qu‟elles jugent à tort disgracieux. 1
De pareilles remarques se trouvent couramment sous la plume des psychanalystes, et ils se hâtent d‟en faire remonter l‟origine au complexe de castration. C‟est, chez eux, une pente incoerROTH, Philip : (2001) The Dying animal / La Bête qui meurt, trad. franç., Paris, Gallimard, 2004, p. 125. 1
6
de l‟art médical, que l‟influence de l‟attente croyante est la plus saisissante.
cible, et ils sont incorrigibles. Sans doute cela simplifie-t-il le problème, mais à mon avis it begs the question, l‟élide ou la fait avorter. Ces questions plus que délicates nécessitent un temps de réflexion. Pour ma part, je me contenterai de dire que, d‟une façon ou d‟une autre, les femmes attendent le lendemain une quelconque réaction. Ŕ Elles se placent en état d’expectative. Cette attitude d‟expectative semble être le propre de la position féminine après l‟amour. Il n‟est pas surprenant de la rencontrer plus couramment chez les femmes Ŕ hormis celles chez qui priment les identifications masculines Ŕ mais aussi chez les hommes chez qui les identifications féminines priment.
Cette dernière remarque n‟est pas fortuite. Elle était dans l‟air du temps. On sait que Freud était lourdement redevable à la clinique française de son savoir et de sa pratique de l‟hypnose. Il puisait d‟ailleurs le bon grain chez l‟une ou l‟autre des deux écoles antagonistes sans discrimination : l‟école de Paris avec à sa tête Charcot, et l‟école de Nancy avec à sa tête Bernheim. C‟est Charcot qui, deux ans après le texte cité de Freud, a rédigé sa célèbre étude sur « La foi qui guérit ». C‟est Bernheim, en revanche, qui est à la source de la notion freudienne de gläubige Erwartung. On traduit gläubige Erwartung par attente croyante alors qu‟on ferait mieux de revenir à Bernheim pour découvrir que Freud n‟a fait que traduire en allemand par gläubige Erwartung un néologisme créé par Bernheim : la crédivité.
Examinons d‟un peu plus près cet état mental particulier dénommé « attente ». Freud en a traité de manière suggestive dans un texte précoce Ŕ puisqu‟il remonte à 1890 Ŕ consacré à la défense et à l‟illustration de l‟hypnose. Je le cite 1 :
Passons ! L‟essentiel est d‟examiner s‟il faut suivre l‟analyse de Freud qui vise à faire de l‟attente une « opposition triangulaire ». C‟est Eugène Minkowski, le psychiatre phénoménologue, qui a créé cette appellation suggestive 2. On pourrait ainsi penser que l‟attente est un état mental neutre qu‟on placerait au sommet d‟un triangle, et l‟on aurait de part et d‟autre deux colorations affectives antagonistes : l‟attente anxieuse d‟un côté, et l‟attente croyante de l‟autre. Tel n‟est pas l‟avis d‟Eugène Minkowski luimême. Dans le livre que je viens de citer, il consacre un chapitre à l‟analyse de la notion d‟avenir. Suivant cette analyse, l‟avenir comporterait six phénomènes s‟étageant sur trois échelons qui déterminent autour du moi vivant trois sphères concentriques : l‟activité et l‟attente ; le désir et l‟espoir ; la prière et l‟acte éthique. Laissons de côté le cadre, à mes yeux trop systématique, où
L‟état psychique de l‟attente (Erwartung), qui est susceptible de mettre en branle toute une série de forces psychiques ayant le plus grand effet sur le déclenchement et la guérison des affections organiques, mérite au plus haut point notre intérêt. L‟attente anxieuse (ängstliche Erwartung) n‟est certainement pas indifférente quant à l‟issue de la maladie ; il importerait de savoir avec certitude si elle intervient autant qu‟on le dit dans le déclenchement de la maladie, s‟il est vrai par exemple qu‟au cours d‟une épidémie les plus menacés sont ceux qui redoutent d‟être atteints. L‟état opposé, l‟attente croyante (gläubige Erwartung) et pleine d‟espérance, est une force agissante avec laquelle nous devons compter, en toute rigueur, dans toutes nos tentatives de traitement et de guérison. On ne pourrait expliquer, sinon, les particularités des effets observables des médicaments et des interventions thérapeutiques. Mais c‟est dans le cas des guérisons dites miraculeuses qu‟aujourd‟hui encore nous voyons se produire sous nos yeux, sans le concours FREUD (1890a), « Traitement psychique (traitement d‟âme) », SE, 7 : 289 ; trad. franç., pp. 8-9.
MINKOWSKI (1933), Le Temps vécu, Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, 1968, Livre Ier, chap. 4, p. 87.
1
2
7
Minkowski insère cet état mental dénommé attente, pour nous intéresser à ce qu‟il en dit de particulier. Là-dessus il affirme sans hésitation que « l’attente primitive est toujours liée à une angoisse intense ; elle est toujours une attente anxieuse ». Il ajoute même carrément qu‟elle « se rapproche ainsi du phénomène de la douleur sensorielle » (op. cit., pp. 80-81). Faut-il donner raison à l‟analyse phénoménologique de Minkowski plutôt qu‟à l‟analyse conceptuelle de Freud ? Minkowski s‟intéresse au temps vécu. Il présente l‟analyse de la notion d‟avenir en tant qu‟elle sert d‟horizon à l‟état mental de l‟attente. Freud, en revanche, s‟intéresse à l‟action médicale et à la raison de son efficace quand il rencontre l‟état psychique de l‟attente. Pour notre part, en tant que psychanalystes, nous avons tout intérêt à nous concentrer sur le domaine de notre spécialité avant de nous livrer à toute acrobatie sans filet, et notre domaine se limite à la sexualité. La question n‟est donc pas de savoir lequel des deux auteurs cités aurait raison ou tort contre l‟autre. Ils pourraient tous les deux avoir raison chacun dans son domaine propre. Il nous importe seulement de savoir ce qu‟il en est de l‟état mental de la femme au lendemain d‟un rapport sexuel. Son attente est-elle neutre Ŕ sans affect Ŕ ou au contraire estelle d‟emblée colorée d‟affect, et, le cas échéant, de quel affect ? Le matériel clinique que nous recueillons penche nettement en faveur de la seconde éventualité. Au lendemain d‟un rapport sexuel la femme est en général dans un état d‟attente anxieuse. Néanmoins, une rallonge est ici nécessaire, sans quoi cette analyse porterait à faux. En effet, le matériel clinique dont nous disposons en tant que psychanalystes comporte souvent des mentions d‟attentes croyantes mêlées ou non aux attentes anxieuses. Ici, il faut me semble-t-il changer de paradigme. Ce n‟est plus le rapport sexuel qui doit être pris comme horizon, mais l‟état amoureux. Un phénomène de civilisation
s‟est produit avec la récente libéralisation des mœurs : on a des rapports sexuels sans s‟aimer, ou avant de commencer véritablement à s‟aimer. Dans ce dernier cas, il me semble qu‟il faut considérer comme un moment fondamental de l‟énamoration ce moment où l‟attente anxieuse se convertit en attente croyante ou s‟y mélange. Chez les plus chastes, et dans quelques cas exceptionnels, cette conversion se produit avant le premier rapport sexuel. Dans un texte impromptu que j‟ai fait récemment circuler, j‟ai évoqué le cas des femmes de quarante ans qui craquent pour des homosexuels, et ce qui s‟ensuit en déboires (AZAR, 2004c). Or, le moment clé, le moment fondateur dans ces liaisons dépareillées, c‟est ce moment où la femme se dit : voici quelqu‟un qui ne me fera jamais de mal, quelqu‟un en qui je puis avoir totalement confiance. C‟est là justement ce que Bernheim a dénommé crédivité, et Freud attente croyante et pleine d’espoir. Allons plus loin dans cette analyse où l‟état amoureux et l‟hypnose semblent s‟abreuver à la même source. La crédivité amoureuse ou hypnotique semble avoir deux conditions générales. Le « rapport » comme disent les hypnotiseurs établit un lien électif. Le sujet ne se laisse hypnotiser que par tel opérateur, et s‟il arrive que le médecin traitant doive passer le relais à un autre, il est souvent nécessaire d‟effectuer un déblocage particulier chez le sujet lui-même 1. Comme dans En voici deux illustrations à verser au dossier du « tabou de la virginité ». Une jeune Libanaise de trente ans encore vierge consulte pour arriver à franchir le pas avec son petit ami. Comme beaucoup de Libanaises, elle avait adopté jusque là l‟impératif catégorique suivant quoi il fallait arriver vierge au mariage, sinon les plus grands malheurs fondraient sur elles. Les représentations mentales qui apparurent furent les suivantes : à propos des malheurs, c‟est surtout la stérilité qui s‟imposait ; à propos du dépucelage, elle était convaincue que celui qui y procèderait y laisserait sa marque personnelle, parfaitement identifiable par tout successeur. Autre exemple : une jeune Libanaise de vingt-cinq ans a déjà franchi le pas avec son petit ami du moment, dont elle n‟est pas vraiment amoureuse. Une séparation inattendue survient, durant laquelle elle tombe amoureuse pour la première fois. Cette nouvelle liaison demeure un certain temps platonique, jusqu‟à ce 1
8
l‟amour sublime et l‟amour fou, il y a là un lien exclusif 1. L‟autre condition est la docilité et l‟obéissance crédule du sujet envers l‟opérateur. Ces deux conditions, pour se développer et s‟épanouir, doivent contrebalancer l‟autocratisme du sujet, en allemand : Selbstherrlichkeit ou Eigenmächtigkeit 2, ce qui veut dire la capacité d‟affirmation de soi du sujet, ou en termes nietzschéens : sa volonté de puissance. Autocratisme veut dire : je suis une entité et mon propre maître. Si ces deux conditions sont réunies, si elles triomphent de l‟autocratisme du sujet, et si le rapport s‟étale dans la durée, un état d‟accoutumance et de dépendance envers l‟opérateur s‟installe, assimilable à une addiction 3. Krafft-Ebing (1892) a été le premier à relever l‟importance de ce phénomène dans l‟état amoureux, et l‟a baptisé de geschleschtliche Hörigkeit, qu‟on traduit en français par servitude sexuelle, sujétion sexuelle, sujétion amoureuse, ou asservissement sexuel. Il en a fait en quelque sorte le degré zéro du masochisme, mais ce n‟est pas pour autant que la servitude sexuelle ait livré son mystère, pas plus à Krafft-Ebing qu‟à Freud, et ce dernier l‟a loyalement reconnu 4. À cet égard, je ne prétends pas aller plus loin. Il faudra sans doute reprendre ultérieurement cette question à nouveaux frais.
tions qui d’emblée se posent comme problème. Elles demandent une solution et non une réponse ». C‟est ainsi que la question de Freud Ŕ Que veut la femme ? Ŕ m‟a paru réclamer une solution plutôt qu‟une réponse. Je me suis acheminé vers une solution en proposant de la transformer en celle-ci : qu’attend la femme après l’amour ? À cette reformulation, toute une liste de réponses se sont présentées, que j‟ai laissées provisoirement de côté pour m‟attacher à résoudre cet autre problème : cette attente est-elle un état mental neutre, ou un état psychique ayant une coloration affective bien déterminée ? À quoi j‟ai cru possible de répondre nettement qu‟il s‟agit d‟une attente anxieuse. Qu‟il s‟y mêle à l‟occasion une attente croyante a paru relever plus proprement d‟une phénoménologie de l‟énamoration plutôt que du rapport sexuel proprement dit. Il est temps de conclure en revenant au cœur du problème tel que j‟ai proposé de le reformuler : qu’attend la femme après l’amour ? Que vaut la liste de réponses plus ou moins disparates que j‟ai présentée ? C‟est encore Minkowski que j‟appellerai à la rescousse. Tout à l‟heure j‟ai tronqué la citation. La voici dûment complétée : Il y a des questions qui d‟emblée se posent comme problème. Elles demandent une solution et non une réponse. Il y a même peut-être des problèmes qui demandent à être vécus comme tels, sans que leur solution consiste en une formule précise.
On trouve dans l‟ouvrage déjà cité de Minkowski une réflexion judicieuse 5 : « Il y a des quesque des jeux sexuels s‟y mêlent progressivement. Lorsque l‟acte sexuel est finalement consommé, elle se rend compte qu‟elle est vaginalement anesthésiée. Le matériel ne laisse aucun doute sur le fait que cette partie de son corps est aliénée, et qu‟il lui faut accomplir un travail psychique intense pour se la réapproprier. 1 Dans le texte cité, Freud (1890a) glisse rapidement sur ce point : SE, 7 : 296 ; trad. franç., p. 17. On en trouvera un exposé exhaustif in Azar & Sarkis (1993), Freud, les femmes, l’amour, IIIe partie. 2 FREUD (1890a), « Traitement psychique (traitement d‟âme) », SE, 7 : 292, 298 et 299 ; trad. franç., pp. 12, 18 et 20. 3 FREUD (1890a), SE, 7 : 298 et 301 ; trad. franç., pp. 19 et 22. 4 FREUD (1921e), « Psychologie des masses et analyse du moi », fin du §8, GW, 13 : 127 ; SE, 18 : 115-116 ; OCF, 16 : 53-54. 5 MINKOWSKI (1933), Le Temps vécu, Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, 1968, Livre Ier, chap. 4, pp. 102-103.
Je reprends la question : qu’attend la femme après l’amour ? Eh bien, cette question ne demande ni une solution ni une réponse. Cette question demande simplement à être vécue comme telle. Après l‟amour la femme attend quelque chose anxieusement, Ŕ c‟est tout. Ce vécu de l‟attente anxieuse et sans objet est essentiel, et il est peutêtre l‟essentiel de la sexualité féminine. 9
ﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋ
e-mail :
[email protected]
’Ashtaroût Cahier hors-série n° 6 (décembre 2005) ~ Matriochkas & autres Lolitas / L’Eternel féminin, pp. 10-14 ISSN 1727-2009
Amine Azar
Les Perversions sexuelles au regard de la sexualité féminine 1. 2. 3. 4. 5.
La pulsion sexuelle est un instinct perverti Les névroses sont le négatif des perversions Le déni ou désaveu (Verleugnung) Perspective structurale versus nucléaire Sur l‟articulation du complexe de castration avec le complexe d‟Œdipe 6. La généalogie des perversions sexuelles à partir du fétichisme 7. La généalogie des perversions sexuelles à partir de l‟autre∙jouisseur 8. La déroute du désir chez les femmes
Or, si la sexualité polymorphe de l‟enfant et la sexualité perverse des adultes doivent entrer au même titre dans la définition psychanalytique de la sexualité humaine, on risque fort de ne plus distinguer le normal du pathologique. On serait amené à dire que, du point de vue psychanalytique, la sexualité humaine toute entière est perverse. Ainsi, Robert Barande (1972), dans un texte provoquant, dont le titre paraphrase le divin marquis, déclara qu‟il n‟est nul lieu de parole qui puisse permettre au psychanalyste de tenir un discours sur la perversion sauf à se renier en tant que psychanalyste 2. Autrement dit, dans l‟espèce humaine la pulsion sexuelle est un instinct perverti 3.
_______
1
Allons droit au but. Pendant longtemps Freud n‟éprouva pas le besoin d‟élaborer une théorie psychanalytique des perversions sexuelles. Au début de sa carrière de psychanalyste il a lui-même noyé le poisson quand il a proposé d‟élargir la notion de « sexualité » pour y inclure la sexualité infantile polymorphe d‟une part, et les perversions sexuelles d‟autre part. En ce qui concerne ces dernières, il a même eu recours à un argument massif. S‟appuyant sur un ouvrage fort répandu de son temps, celui de Iwan Bloch (1902-1903), il a souligné la fréquence des perversions sexuelles à toute époque, depuis les peuplades les plus primitives jusqu‟aux civilisations les plus raffinées 1. Dès lors, comment les écarter d‟une définition de la sexualité ?
2
En ce qui concerne la nosographie, dans ses Trois Traités sur la Sexualthéorie (1905d) Freud s‟était contenté d‟un énoncé très approximatif suivant quoi les névroses seraient le négatif des perversions. Les fantasmes des névrosés correspondraient aux actes des pervers comme le cliché négatif par rapport au tirage d‟une photo. C‟est comme si les pervers n‟avaient que des impulsions et point de fantasmes. Quant au mécanisme psychologique en question, Freud avait recours à la régression et à la fixation à des étapes révolues du développement libidinal. Quelle différence alors entre une névrose et une perversion ? Freud s‟est longtemps contenté de la réponse suivante :
FREUD (1905d) : Trois Traités sur la Sexualthéorie, 1er Traité, GW, 5 : 37-38 ; SE, 7 : 139 ; trad. franç. nouvelle, Folio-Essais, 1985, p. 43. Argument repris in FREUD (1916-1917) : Leçons d’introduction à la psychanalyse, 20e conférence, GW, 11 : 317 ; SE, 16 : 307 ; trad. franç. nouvelle, Gallimard, 1999, p. 390. 1
BARANDE (1972) : « Pourrions-nous ne pas être ‛‛pervers” ? Psychanalystes, encore un effort ! », p. 232. 3 Dans Vie & Mort en psychanalyse, Jean Laplanche (1970) dit : instinct mimé et dénaturé, pp. 28 et 39. 2
10
La régression de la libido sans refoulement ne donnerait jamais une névrose, mais aboutirait à une perversion 1.
Les choses se déroulèrent donc ainsi : le garçon s‟est refusé à prendre connaissance de ce fait de sa perception, à savoir que la femme ne possède pas de pénis. Non, ce ne peut être vrai, car si la femme se trouve être castrée, sa propre possession d‟un pénis est menacée, et là contre se rebelle la part de narcissisme dont la nature prévoyante a doté précisément cet organe. ___________________
La spécificité des perversions sexuelles en tant qu‟entité psychopathologique devait ainsi être méconnue pendant plus de vingt ans.
3
C‟est fort tardivement que Freud s‟est mis à réfléchir au problème d‟une psychopathologie générale. Il s‟est concentré sur ce problème en rédigeant Inhibition, Symptôme & Angoisse (1926d). Le propos de cette brochure est de présenter un premier relevé des mécanismes de défense du moi. Vers la fin du 1er Supplément à cet ouvrage, Freud confie son espoir de parvenir un jour à caractériser les maladies mentales par le mécanisme de défense spécifique mis en jeu 2 :
(1) Cette interprétation a été communiquée, sans que j‟en donne les raisons, dès 1910, dans mon écrit « Un souvenir d‟enfance de Léonard de Vinci ». [Eine Kindheitserinnerung des Leonardo da Vinci, GW, VIII, p. 165-166 ; OCF.P, X, p. 120-122. ]
Le fétichisme Ŕ et par extension toutes les autres perversions sexuelles Ŕ sont le produit du déni de la différence des sexes au niveau anatomique.
... un approfondissement de nos études pourrait dégager une affinité intime entre des formes particulières de la défense et des affections déterminées, par ex. entre refoulement et hystérie.
4
On convient de dénommer cette approche pychopathologique, inaugurée par Freud luimême, la perspective structurale. Lacan (et ses élèves) l‟ont poursuivie. On peut même estimer que cet ambitieux programme a été rempli avec succès 4. Dès les années trente, cependant, une autre approche a été élaborée pour concurrencer la perspective structurale. On peut la dénommer la perspective nucléaire. Son défenseur le plus illustre fut Edward Glover. Elle se prête à une présentation didactique sous la forme d‟un tableau longitudinal où se trouvent marquées les correspondances entre les dominantes libidinales, les noyaux du moi, les processus primaires et les entités nosographiques. On en décèle jusqu‟à aujourd‟hui les succédanés dans l‟opinion moyenne que se font les psychanalystes, toutes obédiences confondues, de la psychopathologie.
Poursuivant sur cette lancée, il présenta l‟année suivante une conception suivant quoi les perversions sexuelles auraient une affinité intime avec une forme particulière de défense qu‟il dénomma en allemand Verleugnung (en français : désaveu ou déni). Il en donna comme exemple un cas de fétichisme 3 : ... le fétiche est le substitut du phallus de la femme (de la mère) auquel a cru le petit garçon et auquel Ŕ nous savons pourquoi Ŕ il ne veut pas renoncer (1).
FREUD (1916-1917) : Leçons d’introduction à la psychanalyse, 22e conférence, GW, 11 : 356 ; SE, 16 : 344 ; OCF, 14 : 356 ; trad. franç. nouvelle, Gallimard, 1999, p. 437. 2 Freud (1926d), Inhibition, Symptôme & Angoisse, supplément A, § (c) ; GW, 14 : 197 ; SA, 6 : 301-302 ; SE, 20 : 164 ; OCF, 17 : 279. 3 FREUD (1927e) : « Fétichisme », GW, 14 : 312 ; SE, 21 : 152-153 ; OCF, 18 : 126. La note est de Freud. Entre crochets droits les interventions de l‟équipe des OCF. Entre crochets coudés mes propres interventions. 1
On en trouvera un exposé exhaustif in Bruce Fink (1997), A Clinical introduction to lacanian psychoanalysis, IIe partie, pp. 73-202. Cf. aussi Philippe Julien (2000). 4
11
Citons encore pour mémoire un mélange des deux perspectives, concocté plus récemment par Bergeret (1972) afin de fournir un droit de cité aux « états limite ». Là aussi une présentation sous la forme d‟un tableau longitudinal de correspondances en est l‟aboutissement didactique. Chacune de ces approches a ses avantages et ses faiblesses. La perspective nucléaire relève d‟une pensée molle, mais d‟une clinique ouverte ; la perspective structurale relève d‟une pensée rigoureuse, mais d‟une clinique plutôt rigide.
Si l‟on se tourne maintenant du côté du « complexe d‟Œdipe », force est de constater que nous manquons jusqu‟à présent d‟une véritable présentation critique de ce dont il s‟agit. Les psychanalystes qui se sont mêlés d‟en disserter n‟ont jamais été fichus de retracer avec rigueur et discernement les étapes du cheminement tortueux de la pensée de Freud à cet égard. Prenons un exemple. La référence à Œdipe Tyran et à Hamlet survient très tôt chez Freud, en octobre 1897 2, et pourtant l‟expression de « complexe d’Œdipe » n‟est forgée qu‟en 1910. N‟est-il pas étrange qu‟il eût fallu plus d‟une douzaine d‟années de gestation pour cette notion ? Autre curiosité : Freud n‟a jamais consacré un écrit spécifique au complexe d‟Œdipe. Le seul qu‟il eût jamais rédigé est fort tardif (1924d) et se rapporte à sa... disparition ! En voici les deux premières phrases 3 :
5
Revenons à Freud et à la perspective structurale qu‟il a inaugurée dans l‟approche des perversions sexuelles. Elle présente à mes yeux de nombreuses difficultés. J‟en ferais deux groupes, les difficultés qui relèvent de l‟orientation développementale et celles qui relèvent de l‟orientation doctrinale. Un énoncé de Freud condense les difficultés qui relèvent de l‟orientation développementale. Je l‟extrais d‟un écrit tardif (1925j) 1 :
De plus en plus le complexe d‟Œdipe dévoile sa significativité de phénomène central pour la période sexuelle de l‟enfance précoce. Ensuite il disparaît, il succombe au refoulement, comme nous disons, et le temps de latence lui succède.
Tandis que le complexe d‟Œdipe du garçon périt de par le complexe de castration, celui de la fille est rendu possible et est introduit par le complexe de castration.
Retenons ces deux points : 1/ le complexe d‟Œdipe est un phénomène central de l‟enfance précoce, et 2/ la période de latence lui succède. Cela me paraît un peu bancal. Pensez y ! Si l‟inceste et l‟interdit de l‟inceste (ce que les lacaniens appellent la Loi) est considéré comme la pièce majeure du complexe d‟Œdipe, force est de le déplacer en aval, après la période de latence. Car c‟est durant la période de latence que la barrière de l‟inceste s‟institue. Avant la période de latence l‟inceste n‟a pas d‟existence. Ouvrons maintenant les Trois Traités sur la Sexualthéorie (1905d), vers la fin du 3e Traité consacré aux reconfigurations de la puberté. Comme
La première difficulté présentée par cette assertion se rapporte à l‟articulation du complexe d‟Œdipe avec le complexe de castration, ou le contraire. Qu‟ont-ils de commun à part le terme de « complexe » qui se retrouve dans les deux expressions ? Procédons par ordre. À force de nous terroriser avec le « complexe de castration » les psychanalystes nous font oublier Ŕ et ils oublient sans doute eux-mêmes Ŕ que ce trop fameux complexe n‟est qu‟une théorie sexuelle infantile. Cette théorie fleurit chez les petits enfants d‟âge pré-scolaire.
Lettre à Fliess du 15 octobre 1897, ancienne édition fragmentaire n°71, nouvelle édition intégrale n°142. 3 FREUD (1924d) : « La disparition du complexe d‟Œdipe », GW, 13 : 395 ; SE, 19 : 173 ; OCF, 17 : 27. 2
FREUD (1925j) : « Quelques conséquences psychiques de la différence des sexes au niveau anatomique », GW, 14 : 28 ; SE, 19 : 256 ; OCF, 17 : 200. 1
12
on le sait, Freud n‟a cessé de remanier son texte et de l‟enrichir au fil des rééditions. Or, en 1920, il ajouta une longue note consacrée aux fantasmes de la période pubertaire. Il en donne une liste étendue, il les désigne globalement comme « fantasmes originaires », à la fois parce qu‟ils se rapportent aux origines, et parce qu‟ils sont un héritage phylogénétique. Ils comprennent la scène primitive, la séduction précoce, les fantasmes intra-utérins, mais aussi le roman familial, la menace de castration et le complexe d‟Œdipe. Freud nous apprend également : 1/ que « ces fantasmes de la période pubertaire se nouent (knüpfen) aux recherches sexuelles infantiles abandonnées au cours de l‟enfance », 2/ qu‟ils « ont une grande importance dans la genèse de nombreux symptômes », et 3/ qu‟ils « sont les prototypes des fantasmes nocturnes qui deviennent conscients sous forme de rêves » 1. Il ne me semble avoir oublié qu‟un dernier point sur lequel j‟ai moi-même précédemment insisté : 4/ ce sont des fantasmes masturbatoires, et c‟est la raison pour laquelle je les ai dénommés des « fantasturbaires » (AZAR, 2002b). Le rappel de ces éléments d‟information complique à loisir le problème de l‟articulation du complexe de castration avec le complexe d‟Œdipe et ne nous permet pas d‟adopter avec beaucoup d‟enthousiasme l‟énoncé simplificateur de Freud dont je suis parti. Ce n‟est pas tout. J‟ai réservé en effet le dernier aspect de son énoncé, celui qui touche à la sexualité féminine. De cet énoncé deux corollaires s‟ensuivent : 1/ les femmes, à quelques exceptions près, sont globalement condamnées à se débattre dans leur complexe d‟Œdipe sans issue possible, et 2/ les perversions sexuelles sont totalement en dehors de leur portée, et cette fois sans exception possible. Ces deux corollaires
sont des « excès de bagage » lourds à porter, et d‟un coût théorique assez élevé. Bon courage, bonne chance et bon voyage à ceux qui consentent à s‟en charger.
6
L‟autre groupe de difficultés se rapporte à l‟option doctrinale ou à l‟a priori méthodologique. On constate que Freud a constamment abordé les perversions sexuelles à partir du fétichisme. Que devons-nous en penser ? Prenons exemple sur un psychanalyste français bien famé, du petit nombre de ceux qui se sont occupés des perversions sexuelles avec constance et application. Il est l‟auteur d‟une « Étude des perversions sexuelles à partir du fétichisme », à la fin de laquelle il soumet à notre perspicacité la suggestion suivante sur le mode interrogatif : Peut-on tenir la nodale, à charge pour chaque perversion les caractérisent en tant schéma ? 2
structure fétichiste comme nous d‟avoir à préciser pour modalités particulières qui la que forme déviante de ce
Poursuivant son investigation dans une étude contemporaine, il nous avertit dès l‟abord : Il est souvent fait référence au fétichisme dans ce qui suit parce que nous pouvons tenir cette perversion comme exemplaire, centrale parmi les autres, puisqu‟on y peut faire saillir la fonction majeure du désaveu, de la scission du moi correspondante, et de la prévalence du pénis, organe visible du plaisir. 3
Les mots soulignés (nodale, exemplaire, centrale) ajoutés au titre de la première étude citée, indiquent l‟orientation typiquement freudienne de l‟auteur. Il n‟est pas le seul ni le premier à ROSOLATO (1967a) : « Étude des perversions sexuelles à partir du fétichisme », in ouvrage collectif Le Désir & la perversion, Paris, Seuil, 1967, p. 40. 3 ROSOLATO (1967b) : « Généalogie des perversions », repris in Essais sur le symbolique, Paris, Gallimard, 1969, p. 266. 2
FREUD (1905d) : Trois Traités sur la Sexualthéorie, note ajoutée en 1920, GW, 5 : 127 ; SE, 7 : 226 ; nouvelle trad. franç., éd. Gallimard, Folio-Essais, 1985, pp. 169-170. 1
13
l‟avoir adoptée. Il a été précédé par Gillespie (1964) auquel il rend d‟ailleurs hommage. Que vaut cette orientation, ou cet a priori ? Il me semble que l‟approche des perversions sexuelles à partir du fétichisme a livré tous ses fruits. À l‟heure présente il se peut qu‟elle soit devenue un obstacle pour la poursuite de l‟investigation. Je ne le dis pas à la légère. J‟ai en effet une dernière observation à présenter.
Le pervers occupe lui-même la place de l‟objet, mais sans le savoir, au bénéfice d‟un autre, pour la jouissance duquel il exerce son action de pervers.
Contentons-nous en.
8
Cette manière de poser le problème nous permet d‟éviter les impasses freudiennes, et il devient possible de parler des perversions sexuelles à propos des hommes aussi bien que des femmes avec la liberté des auteurs américains comme Robert J. Stoller ou Louise J. Kaplan. Néanmoins, chez les femmes, les perversions sexuelles prennent d‟autres configurations que chez les hommes. Lacan (1972-1973) fait l‟hypothèse que la sexualité féminine ne se range pas toute sous le primat phallique. Ajoutons lui cette rallonge : chez les femmes, les perversions sexuelles appartiennent à ce domaine du « pas tout », et admettent une consommation non phallique. C‟est pourquoi elles échappent à l‟attention des médecins-légistes et des sexologues. Afin de distinguer ces configurations féminines, des perversions sexuelles masculines, je propose de parler de la déroute du désir chez les femmes, ou de dévoiements. À notre prochaine réunion je décrirai en détail l‟une de ces configurations féminines, à propos de laquelle j‟ai recueilli un matériel abondant : la folie de la maternité amoureuse. Parmi les configurations féminines de la déroute du désir les cliniciens ont coutume de citer : l‟érotomanie, la kleptomanie, la pornographie rose, l‟anorexie mentale, le masochisme dit féminin, et la sujétion sexuelle (en allemand geschlechtlich Hörigkeit, en anglais sexual bondage). Mais c‟est à la maternité amoureuse que devrait sans doute revenir la palme. Elle a l‟intérêt insigne d‟être très bon marché, Ŕ d‟où sa fréquence, plus particulièrement à l‟âge critique.
7
Il y a quelques années j‟ai présenté une instance de l‟appareil psychique que j‟ai dénommée « l’autre∙jouisseur » et que j‟ai illustrée par des exemples pris chez Zola, Schreber et le marquis de Sade (AZAR, 2002a). C‟est dans le prolongement de cette ligne de pensée que, dans l‟abord des perversions sexuelles, je propose d‟abandonner l‟articulation entre complexe de castration et complexe d‟Œdipe pour nous tourner du côté de l‟instance de l‟autre∙jouisseur. Dans le même mouvement, je propose également de déloger le fétichisme de la position nodale, qui lui a été jusqu‟à présent conférée dans l‟abord des perversions sexuelles, pour lui substituer le sadisme. Comment définir le sadisme dans la perspective que je préconise ? Je ne me mettrais pas en peine de faire l‟original, il me suffit de contresigner la proposition de Lacan telle qu‟il l‟énonce à la fin d‟une séance de son séminaire de 1964 : Je vous prie de vous reporter à mon article Kant avec Sade, vous verrez que le sadique occupe lui-même la place de l‟objet, mais sans le savoir, au bénéfice d‟un autre, pour la jouissance duquel il exerce son action de pervers sadique. 1
Partant de cette définition, faire procéder la généalogie des perversions sexuelles à partir de l‟autre∙jouisseur ne me semble pas présenter de difficulté majeure. En supprimant le sadique tout en conservant le pervers on obtient : LACAN (1964) : Le Séminaire Ŕ Livre XI : les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Seuil, Points, 1990, p. 208 (séance du 13 mai 1964). 1
14
ﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋ
e-mail :
[email protected]
’Ashtaroût Cahier hors-série n° 6 (décembre 2005) ~ Matriochkas & autres Lolitas / L’Eternel féminin, pp. 15-29 ISSN 1727-2009
Amine Azar
La Folie de la maternité amoureuse : Freud & Lacan
I. Conception freudienne 1. 2. 3. 4.
I.
Libido & angoisse à l‟âge critique Méfaits de la stase sexuelle Un délire de jalousie à la ménopause Un passage à l‟acte à l‟âge critique
Conception freudienne
1
Freud s‟étant occupé de l‟évolution de la libido, le phénomène du retour d‟âge ne devait pas lui échapper. Il est vrai qu‟il ne s‟en est pas soucié ni de manière intense ni de manière continue, si bien que ses idées là-dessus peuvent être résumées en quelques mots. La moisson se réduit grosso modo aux deux références et aux deux vignettes cliniques que je vais passer en revue. La première référence se trouve dans l‟un des premiers textes psychanalytiques de Freud (1895b), où il a tenté de promouvoir une nouvelle entité clinique intitulée névrose d‟angoisse, qu‟il faut distinguer de la neurasthénie. Avec l‟audace des débutants, Freud soutient dans ce texte la thèse suivant quoi, si l‟on entreprend une recherche bien orientée, on trouve comme facteurs étiologiques efficients une série de nuisances et d‟influences provenant des pratiques sexuelles. En ce qui concerne les femmes, Freud énumères les conjonctures suivantes :
II. Conception (pseudo) lacanienne 5. 6. 7. 8. 9.
Libido & angoisse à l’âge critique
Peut-on être lacanien ? Comment « faire sa Jocaste » ? Du complexe d‟Œdipe au complexe de Jocaste Invariant & ré-élaboration Sexuation & insignes du père
III. Le désir en déroute 10. Deux âmes secourables 11. Rebuffade, déhiscence & claque 12. Le sentiment maternel perverti
L
a conférence de la semaine dernière a été consacrée à une approche de la sexualité féminine par le biais des perversions sexuelles. Je me suis attaqué directement à la question préalable, à savoir s‟il existe ou non des perversions sexuelles chez les femmes, et j‟y ai répondu positivement. Aujourd‟hui j‟aborderai la sexualité féminine par le biais du retour d‟âge. Je présenterai successivement la conception freudienne du climatère, la conception lacanienne (ou celle qui en tient lieu), et enfin la conception balzacienne. Je montrerai qu‟au retour d‟âge certaines femmes versent dans la perversion, et plus particulièrement dans celle que l‟on peut dénommer la « folie de la maternité amoureuse ». Quelques exemples en seront présentés.
a/ L‟angoisse virginale ou angoisse des adolescentes devant la révélation soudaine de la sexualité génitale. b/ L‟angoisse des jeunes mariées anesthésiées lors des premiers rapports sexuels. c/ Celles dont le partenaire souffre d‟éjaculation précoce ou d‟impuissance partielle. d/ Celles dont le partenaire pratique le coïtus interruptus ou reservatus. 15
e/ L‟angoisse des veuves ou des femmes intentionnellement abstinentes.
goisse, y conduisent tous les facteurs qui empêchent l‟élaboration psychique de l‟excitation sexuelle somatique. Les manifestations de la névrose d‟angoisse se produisent lorsque l‟excitation sexuelle somatique déviée de la psyché se dépense subcorticalement dans des réactions totalement inadéquates.
f/ Enfin l‟ « angoisse pendant le climatère, lors du dernier grand accroissement de l’état de besoin sexuel » 1.
Freud fait suivre cette énumération de celle qui concerne les hommes, et où le senium est envisagé sous le même angle que le climacterium 2 :
Suivant cette ligne de pensée, le senium chez les hommes et le climatère chez les femmes requièrent un réaménagement de la théorie. En effet, dans ce cas nous n‟avons pas, comme l‟exigerait la théorie, de « déviation de l‟excitation sexuelle somatique à l‟écart du psychique », ni de délestage de l‟excitation. Quelque chose de différent a lieu qui conduit néanmoins au même résultat, id est la névrose d‟angoisse 4 :
d/ Angoisse des hommes dans le senium. Il y a des hommes qui, comme les femmes, présentent un climatère et, à l‟époque où leur puissance diminue et leur libido s‟accroît, produisent une névrose d‟angoisse.
Pour savoir ce qui ne va pas, il faut d‟abord décrire l‟exercice normal de la fonction sexuelle. Freud propose le modèle suivant :
Ici, la libido ne faiblit pas ; mais il se produit, comme pendant le climatère des femmes ; un tel accroissement dans la production de l‟excitation somatique que la psyché s‟avère insuffisante, de façon relative, à maîtriser cette dernière.
1/ L‟excitation somatique sexuelle s‟accumule jusqu‟à un certain seuil, 2/ à partir de quoi cette excitation devient stimulus psychique autrement dit libido, 3/ cette libido provoque la poussée vers l‟action spécifique à laquelle se rattache le sentiment de volupté, autrement dit elle pousse à l‟accomplissement de l‟acte sexuel, 4/ ce qui conduit à un délestage psychique.
Lors du senium et du climacterium la psyché n‟est pas contournée, elle est subvertie et n‟arrive pas à maîtriser ou à résorber l‟afflux d‟excitation. Freud fait néanmoins appel à une réserve susceptible d‟introduire une différence entre le senium masculin et le climatère féminin. Il estime qu‟ « il est possible qu’à l’époque de la ménopause l’horreur que la femme vieillissante ressent à l’égard de la libido excessive » la fasse recourir au « refoulement intentionnel du cercle de représentations sexuel » 5. Autrement dit, le senium risque de provoquer chez les hommes une névrose d‟angoisse, alors que le climatère fait courir aux femmes le risque combiné de névrose d‟angoisse et de refoulement. Je me suis étendu sur l‟exposé de ces idées parce qu‟elles vont accompagner Freud tout au long de sa vie. Il ne cessera en effet de se débattre dans les apories qu‟elles recèlent sans trouver
Ce cadre général permet à Freud d‟y inscrire à la fois les deux pathologies qui l‟intéressent Ŕ la neurasthénie et la névrose d’angoisse Ŕ tout en les distinguant l‟une de l‟autre. Voici comment 3 : Dans le cadre de cette présentation du processus sexuel, on peut aussi bien inscrire l‟étiologie de la neurasthénie authentique que celle de la névrose d‟angoisse. La neurasthénie apparaît chaque fois que le délestage (action) adéquat(e) est remplacé par un délestage moins adéquat, donc le coït normal dans les conditions les plus favorables par une masturbation ou une pollution spontanée ; quant à la névrose d‟anFREUD (1895b) : « Du bien-fondé à séparer de la neurasthénie un complexe de symptômes déterminé, en tant que ‛‛névrose d‟angoisse” », in GW, 1 : 325-327 ; SE, 3 : 99-101 ; OCF, 3 : 41-43. 2 Idem, GW, 1 : 328 ; SE, 3 : 101-102 ; OCF, 3 : 44. 3 Idem, GW, 1 : 335-336 ; SE, 3 : 108-109 ; OCF, 3 : 51. 1
Idem, GW, 1 : 336 ; SE, 3 : 110 ; OCF, 3 : 52. Idem, page suivante. On note au passage que Freud parle à cette époque de refoulement « intentionnel ». 4 5
16
c/ Le troisième cas est une exagération du précédent, l‟entrée en maladie se faisant par inhibition du développement.
de solution plus satisfaisante. Ayant repéré la toxicité de la libido, il a très tôt rabattu cette constatation clinique sur la supposition d‟un substrat bio-chimique dont il n‟a jamais pu se départir. Il plaisait à son matérialisme candide de se figurer que la libido se transforme en angoisse comme le vin se transforme en vinaigre, ou comme le lait tourne.
2
d/ Le quatrième, enfin, est dû à la stase de la libido advenant à certains tournants de la vie comme la puberté et la ménopause.
Donnons la parole à Freud 2 : Du fait qu‟une certaine période de la vie est atteinte, conjointement à des processus biologiques régis par des lois, la quantité de libido, dans leur économie psychique, a connu un accroissement qui, à lui seul, suffit à renverser l‟équilibre de la santé et à instaurer les conditions de la névrose. Comme on sait, de tels accroissements de libido plutôt soudains sont régulièrement liés à la puberté et à la ménopause, au moment où des femmes atteignent certains âges ; chez un grand nombre d‟êtres humains, ces accroissements peuvent en outre se manifester selon des périodicités encore inconnues 3. La stase de la libido est ici le facteur primaire, elle devient pathogène par suite du refusement relatif de la part du monde extérieur, lequel aurait encore continué à accorder satisfaction à une revendication libidinale moindre.
Méfaits de la stase libidinale à l’âge critique
Ce n‟est que dix-sept ans plus tard que Freud (1912c) fait une nouvelle référence au climatère. Il le fait dans un texte très condensé et d‟une difficulté extrême, qui reprend à bras le corps, comme le précédent, le problème de base de toute psychopathologie : pourquoi nous tombons malades ? Mais c‟est hélas un texte qui a engendré l‟un des malentendus les plus graves sur la pensée de Freud, du fait que l‟on a traduit platement en français et en anglais la Versagung par frustration, alors que versagen signifie en premier lieu faire défaillance, être défaillant. L‟équipe des OCF traduit actuellement Versagung par « refusement » 1. Le propos de Freud dans cette étude, consacrée aux « types d‟entrée dans la maladie névrotique », est en effet de montrer que le sujet tombe malade du fait du refusement, dont il distingue quatre sortes :
On voit que sur ce point Freud persiste et signe, sauf à forger l‟expression de stase libidinale pour dénommer un processus qu‟il a déjà décrit dans les mêmes termes dix-sept ans plus tôt. Je renonce à commenter ce passage, me contentant de renvoyer à l‟entrée afférente à « stase libidinale » du Vocabulaire de la psychanalyse, satisfaisante à tous points de vue 4.
a/ Dans le premier cas est assignée la tâche de renoncer à la satisfaction, et l‟individu tombe malade du fait de son incapacité de résistance.
3
Un délire de jalousie à la ménopause
Quelques années plus tard Freud fournit la première vignette clinique se rapportant au climatère d‟une femme. On la trouve dans les Leçons d’introduction à la psychanalyse, à la 16e conférence.
b/ Dans le deuxième, la tâche consiste à échanger une sorte de satisfaction, qui a fait son temps, contre une autre mieux en rapport avec ce que la personne est devenue actuellement, et celle-ci échoue du fait de sa rigidité.
FREUD (1912c) : « Des types d‟entrée dans la maladie névrotique », in GW, 8 : 328 ; SE, 12 : 235-236 ; OCF.P, 11 : 124. 3 Allusion aux théories de Fließ. [Note des éditeurs des OCF.] 4 LAPLANCHE & PONTALIS (1967), Vocabulaire de la psychanalyse, pp. 462-463. 2
Sur cette question, cf. LAPLANCHE & PONTALIS (1967), Vocabulaire de la psychanalyse, pp. 172-174 ; LAPLANCHE (1989), « Terminologie raisonnée », pp. 132-135 ; et OCF, 11 :118. 1
17
le besoin sexuel féminin ; cela serait à soi seul suffisant. Ou bien peut venir s‟ajouter à cela que son bon et fidèle époux n‟est plus, depuis bien des années, en possession des capacités sexuelles dont aurait besoin pour sa satisfaction cette femme bien conservée. L‟expérience a attiré notre attention sur le fait que justement de tels hommes, dont la fidélité va alors de soi, se distinguent par une délicatesse particulière dans la manière dont ils traitent leur femme et par une indulgence inhabituelle avec leurs ennuis nerveux. Ou bien encore, il n‟est pas indifférent que ce soit précisément le jeune époux d‟une de ses filles qui devienne l‟objet de ce sentiment amoureux pathogène. Un lien érotique fort à la fille, lequel renvoie en dernier ressort à la constitution sexuelle de la mère, trouve souvent le moyen de persister moyennant une telle métamorphose 1.
Cette observation est grevée de plusieurs handicaps. Il ne s‟agit vraiment que d‟une vignette, car c‟est une femme que Freud avait reçue une seule fois seulement. Il est vrai que la séance a duré deux heures, mais la patiente a manifesté une grande résistance vis-à-vis de la règle fondamentale qui stipule de livrer sans retenue ses pensées incidentes. Elle ne s‟y prêta pas. Il en parle en outre dans un contexte polémique où il cherche à montrer à ses auditeurs la profonde différence d‟approches de la maladie mentale entre un psychiatre et un psychanalyste. Cette femme de 53 ans était récemment venue le consulter sur les instances de son gendre. En repartant elle se déclara satisfaite, et Freud la soupçonna de vouloir justifier ainsi sa décision de ne pas revenir. Son diagnostic était sévère, et ne me paraît pas suffisamment justifié par ce qu‟il nous en communique. À notre tour de le soupçonner de ne pas nous dire tout ce qu‟il sait. Cette femme reçut une lettre anonyme lui « révélant » que son mari, après trente ans de mariage sans ombre au tableau, avait une liaison avec une de ses employées. Elle savait qu‟il n‟en est rien, et même que c‟est elle qui avait plus ou moins involontairement provoqué l‟envoie de cette lettre anonyme par une intrigante qui fut vite démasquée et punie. Néanmoins c‟était plus fort qu‟elle, elle n‟arrivait pas à se raisonner. Elle était la proie d‟un délire de jalousie qui incommodait fort son entourage et la rendait ellemême très malheureuse. Freud devina qu‟il existait chez elle un sentiment amoureux intense à l‟égard de son gendre, masqué sous le voile d‟une tendresse innocente. Il en concluait que le fantasme de l‟infidélité de son mari était donc un pansement rafraîchissant sur sa blessure brûlante. Mais pourquoi est-elle tombée malade ? Il nous propose trois éventualités entre lesquelles, nous dit-il, il n‟est pas nécessaire de trancher :
Le troisième facteur nous déporte vers de nouveaux problèmes psychologiques que nous laisserons pour l‟instant de côté. Les deux premiers facteurs illustrent en revanche le modèle déjà exposé. La conviction de Freud est que le climatère peut être la cause du déclenchement d‟une psychose paranoïaque, si le terrain s‟y prête, évidemment. Le facteur pathogène est ici la stase de la libido investie sur le moi. Suivant le principe que « l’accumulation de la libido narcissique au-delà d’une certaine mesure ne puisse plus être supportée » 2, c‟est une psychose qui se déclenche : hypocondrie, mélancolie, paranoïa, schizophrénie.
4
Un passage à l’acte à l’âge critique
La seconde vignette clinique est fournie douze ans plus tard, à la fin d‟un texte où elle survient comme un cheveux sur la soupe. Freud s‟était engagé à écrire quelque chose sur Dostoïevski, mais il éprouvait une certaine répugnance à le faire, l‟écrivain ne lui étant pas trop
FREUD (1916-1917) : Conférences d’introduction à la psychanalyse, 16e leçon ; GW, 9 : 260-261 ; SE, 16 : 253-254 ; nouvelle trad. franç. par Ferdinand Cambon, Paris, Gallimard, 1999, pp. 324-325. 2 FREUD (1916-1917) : Idem, 26e leçon ; GW, 9 : 436 ; SE, 16 : 421 ; nouvelle trad. franç., Gallimard, 1999, p. 534. 1
Cette femme se trouve dans l‟âge critique qui vient intensifier d‟une manière soudaine et indésirable 18
sympathique. Par compensation, semble-t-il, il s‟accorda une gratification en flanquant une rallonge à son texte. Prenant prétexte de la passion de Dostoïevski pour le jeu de la roulette, il fit suivre son étude de l‟analyse cursive d‟une nouvelle de son ami l‟écrivain Stefan Zweig qu‟il venait de lire, et qui traitait de la même passion. En trois pages très denses 1 Freud résuma la nouvelle de Zweig, en fournit une analyse magistrale complète, et termina son texte sur Dostoïevski par une pirouette. Le plaisir qu‟il eut à rédiger cette rallonge dédommagea sans doute Freud de ses affres à écrire quelque chose sur Dostoïevski. Stefan Zweig (1927) venait de publier sous le titre de Die Verwirrung des Gefühle / La Confusion des sentiments, un recueil de trois nouvelles. L‟une d‟elles est intitulée « Vingt-quatre heures de la vie d‟une femme ». Le cadre en est le casino de Monte-Carlo, et elle traite de la passion soudaine que la vue des mains fébriles d‟un joueur malchanceux déclencha chez une femme de quarante ans. À sa sortie du casino elle devina que le jeune homme était désespéré et allait se donner la mort. Spontanément elle courut à son secours, se donna à lui et lui donna de l‟argent, pensant ainsi le sauver à la fois de la mort et de la passion du jeu. Hélas il n‟en fut rien. Le jeune homme retourna au jeu le lendemain, la rejeta, et elle apprit quelques années plus tard qu‟il s‟était finalement suicidé. L‟analyse de Freud couvre aussi bien la psychologie du jeune homme que celle de la dame, et il démontre que les deux psychologies sont liées à la manière dont l‟exprime crûment le proverbe libanais : c‟est une marmite et elle a trouvé son couvercle.
Comment rendre compte du « passage à l‟acte » de cette dame ? Freud commence par présenter cette dame ainsi : « Précocement veuve, mère de deux fils qui n’avaient plus besoin d’elle, détournée de toutes les attentes de la vie, dans sa quarantedeuxième année, elle arriva, au cours d’un de ses voyages sans but, dans la salle de jeu du casino de Monaco... » Quant au jeune homme, Freud fait remarquer que l‟écrivain lui donne, comme sans intention, l‟âge du fils aîné de cette dame. Suivant Freud, l‟invention de la nouvelle « repose sur le fond originaire d’une fantaisie de souhait du temps de la puberté ». Dans notre propre vocabulaire c‟est donc un « fantasturbaire » (AZAR, 2002b). La manie du jeu trahit l‟onanisme suivant l‟adage célèbre : Jeux de mains, jeux de vilains, et le contenu de la fantaisie dit : Que la mère doit introduire elle-même le jeune homme à la vie sexuelle pour le sauver des nuisances redoutées de l‟onanisme. Ŕ Mère et pute. Voici maintenant ce qu‟il en est de la motivation de la femme : L‟analyse met (...) à découvert une motivation suffisante pour la conduite surprenante de cette femme jusque-là détournée de l‟amour. Fidèle à la mémoire de l‟époux qu‟elle a perdu, elle s‟est cuirassée contre tout ce qui pourrait prétendre lui ressembler, mais (...) en tant que mère elle n‟avait pas échappé à un transfert d‟amour, totalement inconscient pour elle, sur le fils et, en ce point non surveillé, le destin peut la saisir.
On voit que les éléments que nous connaissons déjà à propos de l‟âge critique manquent ici. C‟est que Freud a confié qu‟il a manqué de place pour s‟exprimer à sa façon. Sachant ses opinions là-dessus, nous n‟avons pas de peine à les restituer à l‟arrière-plan de la précédente citation. Mais le fait remarquable qu‟il me paraît ici nécessaire de souligner est que, dans la précédente vignette, c‟est la relation de la femme climatérique à sa fille qui était en jeu, tandis que dans
Tanjra w la’yit ghatāhā ~ ﺓﺭﺟﻧﻂ ﺖﻴﻗﻠﻮ ﺎﻫﺎﻄﻏ FREUD (1928b) : « Dostoïevski et la mise à mort du père », in GW, 14 : 416-418 ; SE, 21 : 191-194 ; OCF, 18 : 223-225. 1
19
celle-ci c‟est la relation de la femme climatérique à son fils. Ainsi, les deux vignettes se complètentelles comme les deux volets d‟un diptyque. Pour conclure, je dirai que Freud possédait une théorie bien articulée du climatère. Même s‟il ne l‟a pas exploitée dans toutes ses ramifications, le noyau dur de cette théorie est disponible, et se prête à des développements futurs 1.
Une troisième difficulté semble spécifique au lacanisme, et c‟est proprement la difficulté d‟être lacanien. Il faut dire tout d‟abord que Lacan n‟était pas aidé. Qu‟il y eut de sa faute, comment en disconvenir ? Il devait faire tout par lui-même, mais c‟était aussi son choix. On connaît l‟antienne : « Toujours seul, comme je l’ai toujours été, etc. » De plus, il devait conserver sa posture, et se montrer génial à tout instant, remettant en jeu ses acquis à chaque nouvelle donne. Il l‟a fait constamment. Il fallait certes être doué d‟une bonne constitution pour le supporter, et la sienne n‟a succombé qu‟in extremis... Être lacanien n‟a jamais été non plus de tout repos. Du vivant de Lacan ses élèves s‟essoufflaient à le suivre. Ils étaient soit en retard d‟une révolution, soit fourvoyés dans une mauvaise passe, ou bien ils devaient se rabattre à répéter à la lettre ses formules et ses tics. Du moins le timonier était présent, et il redressait la barre avec sa brutalité coutumière. Avant même sa disparition la « banalisation » de ses énoncés gnomiques avait déjà commencé. Elle s‟est accélérée depuis. Ainsi, il faut reconnaître que Gueydan et Laznik ne manquent pas d‟audace dans leur projet, ni de témérité dans l‟exécution. Certes leurs tentatives ne manquent pas d‟intérêt, mais on peut se demander si l‟estampille lacanienne qu‟elles s‟arrogent n‟est pas quelque peu abusive. Peut-on être « lacanien » sans remettre en question tout l‟acquis antérieur à la lumière des avancées nouvelles, à l‟exemple du maître ? Ontelles réussi cette gageure ? N‟ont-elles pas versé dans la banalisation et l‟éclectisme ?
II.
Conception (pseudo) lacanienne
5
Peut-on être lacanien ?
Il en est différemment de Lacan. On ne trouve dans tout le corpus de ses énoncés aucun qui se rapporte au climatère, et cela pour plusieurs raisons. Structuraliste farouche et conséquent, la perspective du développement n‟a pas droit de cité dans l‟univers de son discours, il y est même radicalement hostile. Ainsi, quand Helene Deutsch ou Thérèse Benedeck s‟étaient intéressées au climacterium, elles pouvaient s‟appuyer sur des énoncés freudiens précis, composant le noyau dur d‟une théorie, et elles pouvaient inscrire leur recherche dans le cadre d‟une psychologie du développement dont Freud était particulièrement féru. En revanche, quand, plus près de nous, Madeleine Gueydan et Marie-Christine Laznik, se sont intéressées au climacterium, et ont voulu inscrire leurs recherches dans le cadre du lacanisme, elles se sont trouvées dans une position intenable : d‟une part parce qu‟elles ne pouvaient disposer d‟aucun énoncé de Lacan à quoi s‟accrocher, et, d‟autre part, à cause du rejet absolu de la perspective développementale par Lacan. Ce n‟est pas tout.
6
Comment « faire sa Jocaste » ?
L‟ouvrage de Marie-Christine Laznik (2003) se recommande par son honnêteté dans un domaine Ŕ la littérature psychanalytique Ŕ où l‟enflure verbale est devenue dominante. Je ne doute pas que ce livre ne constitue dans la pro-
Pour être tout à fait exhaustif je signale trois autres mentions du climatère dans le corpus freudien. Cf. FREUD (1913i) et (1937c), soit respectivement SE, 12 : 323-324, et 23 : 226, ainsi que le début de la 9e leçon des Conférences d’introduction à la psychanalyse (1916-1917), GW, 11 : 137-139 & 142 ; SE, 15 : 136-139 & 142 ; OCF, 14 : 139-142 & 145. 1
20
chaine décennie une référence comme on dit « incontournable ». Le bon accueil qui lui a été fait d‟ores et déjà en est un bon présage. De quoi s‟agit-il exactement ? Il s‟agit des amours inquiétantes des femmes mûres, avec la ménopause qui se profile à l‟horizon. Mais encore ? Laissons l‟auteur s‟en expliquer avec ses propres mots dans l‟introduction de l‟ouvrage :
7
Du complexe d’Œdipe au complexe de Jocaste
Faisons un pas de plus dans la compréhension des idées de Laznik. Il faudrait se reporter au chap. 12 de son livre, intitulé « les amours inquiétantes des femmes mûres », pour avoir les éclaircissements nécessaires. Laznik s‟en rapporte à H. Deutsch, laquelle s‟en rapportait à Freud : À plusieurs reprises, Freud met en parallèle la ménopause et la puberté : une jeune fille inhibe son désir parce que c‟est trop tôt et une femme en ménopause parce que c‟est trop tard. Helene Deutsch (1945, pp. 391-418) va apporter des compléments à l‟entendement de cette inhibition. Elle rappelle les travaux de Freud sur les fantasmes incestueux à la puberté : au moment où il y a accroissement des pulsions sexuelles, celles-ci vont prendre comme objet le parent œdipien. La puberté est une deuxième reviviscence du complexe d‟Œdipe et, pour elle, la ménopause en serait une troisième. Elle adjoint donc l‟hypothèse de l‟existence à la ménopause, comme à la puberté, de fantasmes incestueux ; à ceci près que c‟est le fils de cette femme mûre, nous l‟avons vu, et non plus le père, qui occupe maintenant la place de cet objet incestueux. Ce fils n‟a-t-il pas, en naissant, été investi de toutes les qualités de l‟Idéal dont la mère auréolait, petite fille, son propre père ? Freud disait déjà que le lien tendre à l‟enfant est infiltré d‟adjonctions sexuelles inconscientes. Elle donne ici, me semble-t-il, sa plus importante contribution à la sexualité en milieu de vie.
Arrivées à l‟âge de la ménopause, beaucoup de femmes de la génération de nos mères et grandsmères abdiquaient. Le renoncement a toujours existé, il occulte autre chose, qu‟Helene Deutsch avait exposé dès 1945 : les fantasmes incestueux de la mère envers le fils devenu adulte. Cette affirmation d‟Helene Deutsch n‟a jamais été discutée ; de cela, même les psychanalystes ne veulent rien savoir. Il me semble que ce fantasme incestueux, que j‟appelle complexe de Jocaste, peut rendre compte de l‟effroi provoqué par la simple évocation de la ménopause.
Notre clinicienne sait qu‟une femme se sent affreusement seule à ce tournant. Il faut l‟aider, lui permettre de « faire sa Jocaste », comme on dit du petit garçon qu‟il « fait son Œdipe ». Comment ? Le procédé est simple : Pour qu‟une femme, à tout âge, puisse jouir sexuellement, les psychanalystes savent qu‟elle doit laisser cohabiter dans son esprit le fantasme de la mère et celui de la putain, et ce n‟est pas pour autant qu‟elle ira faire le trottoir. À la ménopause, pour se permettre de continuer à avoir des désirs sexuels et n‟être pas contrainte de renoncer, il convient qu‟une femme se familiarise avec l‟idée qu‟elle fait sa Jocaste. Certes, il lui faut renoncer au fils réel, mais non à la jouissance avec tout autre partenaire. Or bien souvent, c‟est le contraire qui se produit : elle renonce à toute vie sexuelle pour surtout ne pas renoncer au fils réel. Nombre de plaisanteries sur les mères vieillissantes ne parlent que de ça.
Laznik note que ce thème n‟a plus été repris par des psychanalystes. Seule Simone de Beauvoir (1949), dans Le Deuxième sexe, l‟a largement commenté. Laznik ajoute que, suivant Deutsch c‟est en lien avec ce fantasme incestueux que certaines femmes ménopausées fuient leur vie sexuelle. Elle rappelle brièvement le cas de la musicienne qu‟on a pu lire chez Deutsch (op. cit., pp. 402-403). À l‟âge de 40 ans, elle avait épousé son professeur, lui-même âgé de 55 ans. Ce fut un mariage paisible, sans effervescence sexuelle et sans enfants. Dix ans plus tard, au moment de la ménopause, son mari prit chez lui un jeune hom-
On ne peut que regretter que l‟auteur se soit retenu de nous donner un échantillon de ces plaisanteries, elles auraient pallié avantageusement bien des analyses (Cf. HARBOYAN, 2004). 21
ce rêve ne lui rappelle un quelconque événement récent. Les associations ne viennent qu‟après sollicitation. Une baleine ? Cela ne lui rappelle tout d‟abord rien. Mais, il y a quelques jours, en se regardant dans la glace, elle a pensé qu‟elle était trop grosse, comme une baleine. Cette analysante vient d‟une communauté allemande du sud du Brésil où il est habituel de dire d‟une femme un peu forte qu‟elle ressemble à une baleine. Pour le reste, elle ne voit rien. Nous menons cette cure en français, langue qu‟elle parle fort bien mais là, je lui demande de traduire son rêve en portugais. Quand elle s‟entend dire, dans la langue de son pays, que la baleine a mangé le jeune homme, elle éclate de rire. En effet, au Brésil comer, manger, veut dire en argot baiser. La baleine avait donc baisé le fils au bord de la mer.
me de 30 ans très doué, mais qu‟elle ne pouvait supporter. Elle dût s‟enfuir. Son mari avait pu trouver en ce jeune homme le fils qui lui manquait, mais elle-même n‟avait pu l‟investir d‟un tendre amour maternel à cause du désir sexuel qu‟elle venait de ressentir pour lui, et pour la première fois de sa vie. En effet, jusqu‟à 40 ans elle n‟avait eu qu‟une liaison apparemment sans sexualité avec un homme « paternel », et avait longtemps vécu avec une amie envers laquelle elle ressentait une inclination consciente, mais sans conséquences pratiques. Le cas présenté par Deutsch comporte deux traits spécifiques : une sexualité qui ne s‟éveille qu‟à la ménopause, et cette sexualité a pour objet un fils « d‟adoption ». Laznik (op. cit., pp. 229230) nous présente quant à elle un autre cas où ces deux traits ne sont pas pertinents, mais où l‟effet est néanmoins le même :
Voilà une magnifique vignette clinique avec un beau « remake » de l‟histoire de Jonas. La convergence du rêve avec le récit biblique se présente en un double sens : soit qu‟on suppose que c‟est ce récit qui a inspiré la dramatisation du rêve, soit, au contraire, que le même désir maternel incestueux se trouve aussi bien à la source du récit biblique et du rêve.
Ingrid, une belle et grande blonde de la quarantaine, se plaint d‟un désintérêt nouveau pour sa vie sexuelle avec son mari, d‟autant plus étonnant que ce dernier l‟aime et la désire. Légèrement plus âgé qu‟elle, cet Allemand encore vigoureux donne de la valeur à leur vie érotique. Ce désintérêt a coïncidé, chez elle, avec la puberté de son fils aîné, grand jeune homme, qu‟elle décrit avec une abondante chevelure érigée autour de la tête. Elle a d‟ailleurs l‟impression de trop le surveiller, comme s‟il fallait protéger l‟humanité contre les excès sexuels qu‟elle suppose à ce fils. Elle dit venir en analyse, entre autres, pour être moins sur son dos. L‟analyse d‟un premier rêve l‟amène à prendre la mesure de son lien incestueux au fils, ce qui la rend plus libre et plus tranquille dans sa relation avec lui. Pendant quelque temps, elle retrouve une vie sensuellement plus épanouie avec son mari. Un nouveau désintérêt sexuel surviendra au moment de la ménopause qui coïncide avec l‟entrée en puberté de son second fils. La réactivation du fantasme incestueux inconscient est patente dans le cauchemar qu‟elle apporte, très angoissée, à une séance matinale : Elle se trouve sur une plage, avec ce deuxième fils, quand une baleine survient et le mange. Rien dans le récit de
8
Invariant & ré-élaboration
Dans la conclusion de son livre, Laznik énonce sous la forme d‟un constat forcé des principes de méthode qui auraient dû inspirer et guider sa recherche dès l‟origine : Force m‟a été de constater que la clinique de la ménopause permet de revisiter la notion même de féminité, et surtout les conditions de sa constitution. Cette clinique fonctionne comme un prisme dans lequel l‟identité féminine viendrait se diffracter dans ses différentes composantes, nous permettant ainsi de les considérer séparément. (p. 296)
Ce constat forcé recoupe l‟argument que j‟ai moi-même énoncé dans l‟annonce de ce séminaire. Le premier principe est connu sous le nom de « méthode pathologique ». Le second est la procédure courante de la psychanalyse consistant à 22
prendre à rebours la flèche du développement. Ainsi, au lieu de cibler notre investigation sur la genèse, on partira de l‟inachèvement dernier. Autrement dit, on scrutera le phénomène du retour d‟âge pour y déceler les éléments significatifs de la genèse saisis dans leur devenir. À mes yeux c‟est là un gage et un espoir de renouveau. Les résultats qui viennent en récompense ont curieusement la forme d‟une bonne nouvelle : Ŕ Pour Gueydan 1, les femmes règlent leur contentieux avec leur mère à la ménopause. C‟est alors qu‟elles peuvent s‟en libérer et jouir du sexe. Celles qui avaient été jusque là frigides peuvent alors découvrir (ou recouvrer) la sensibilité vaginale et s‟y adonner.
2/ La plus grande part de notre vie se passe à réaménager, ré-élaborer, remanier notre complexe d‟Œdipe. En cas d‟échec, on a alors recours aux notions de fixation et de régression comme principes dominants de la psychopathologie. J‟avais illustré mon propos à partir des publications d‟auteurs renommés, comme André Green ou Catherine Parat. Il est possible d‟ajouter Gueydan et Laznik. Voici, par exemple, le texte princeps où Gueydan expose son point de vue 4 : Selon Freud et Hélène Deutsch, une femme satisfait avec l‟enfant une pulsion ; l‟enfant étant posé comme équivalent phallique, il vient combler le creux du désir. Lorsque cette plénitude n‟est plus possible, que l‟évidement s‟est renouvelé, quelle autre aspiration va venir se nicher là ? Je fais donc l‟hypothèse que le temps de la ménopause fournit une possibilité d‟élaboration secondaire, au sens que Freud lui donne dans Totem et Tabou où il parle d‟un remaniement du matériel psychique en fonction d‟un nouveau but, « remaniement qui est souvent fondamentalement forcé, bien que compréhensible ». Je propose de considérer que ce dernier remaniement de l‟œdipe permet aux femmes de renoncer enfin à leur mère, de résorber parfois entièrement ce lien à l‟imago maternelle, ce qui peut aboutir à une sérénité inconnue jusque-là. Parfois, l‟inverse se produit avec la survenue de la mélancolie.
Ŕ Pour Laznik 2, Freud s‟est trompé ou a manqué de patience. Certes les femmes entrent dans l‟Œdipe par le complexe de castration, mais il suffit d‟attendre la ménopause, car c‟est justement à ce moment-là que la liquidation du complexe d‟Œdipe est rendue enfin possible. Si l‟on était au théâtre, on n‟hésiterait pas je pense à qualifier de farce la pièce représentée. Au cours de nos réunions du premier semestre j‟ai essayé de montrer qu‟il existe un « obstacle épistémologique » empêchant l‟émergence d‟un point de vue développemental en psychanalyse. En dernière analyse il m‟a semblé qu‟on pouvait ramener cet obstacle à une « double entrave » 3 :
Nul besoin d‟exégèse. Les choses sont clairement dites. Un dernier remaniement de l‟Œdipe à la ménopause et les voilà quittes, ces dames, du vieux contentieux avec l‟imago maternelle. La pensée de Gueydan n‟est pas difficile à suivre. Il lui faut un invariant, et c‟est l‟Œdipe ; il lui faut une évolution, et ce sont les remaniements de l‟Œdipe. À chaque étape de la vie, les difficultés existentielles sont surmontées grâce à un remaniement œdipien. Ainsi on protège la chèvre et le choux, la structure et l‟histoire, et on peut se réclamer à bon marché de Freud et de Lacan.
1/ On considère que la vie humaine est divisée en deux : avant et après le complexe d‟Œdipe. En procède la croyance propagée par Freud luimême suivant quoi le complexe d‟Œdipe est le complexe nucléaire des névrose et que c‟est le schibboleth de la psychanalyse.
GUEYDAN (1991) : Femmes en ménopause, pp. 32-34. LAZNIK (2003) : L’Impensable désir..., p. 68. 3 Cf. AZAR (2004a) et (2004b). 1
2
4
23
GUEYDAN (1991) : Femmes en ménopause, p. 32.
Il faut cependant y regarder d‟un peu plus près. La référence exacte à Freud n‟est pas fournie, mais il ne semble pas douteux que Gueydan ait eu à l‟esprit le passage suivant 1 :
sens caractérisé du texte de Freud qu‟elle cite, qui montre qu‟il est parfois aussi difficile de faire semblant d‟être freudien que de faire semblant d‟être lacanien.
L‟élaboration secondaire du produit du travail de rêve est un excellent exemple de l‟essence et des prétentions d‟un système. Une fonction intellectuelle en nous exige unification, cohérence et intelligibilité de tout le matériel de la perception ou de la pensée dont elle s‟empare, et ne craint pas d‟instaurer une cohérence inexacte lorsque, par suite de conditions particulières, elle ne peut appréhender la cohérence exacte. Nous ne connaissons pas seulement de telles formations de système par le rêve, mais aussi par les phobies, la pensée de contrainte et les formes du délire. (...) Dans tous les cas, nous pouvons alors mettre en évidence qu‟a eu lieu un réordonnancement (Umordnung) du matériel psychique dans un but nouveau, souvent un réordonnancement au fond fort violent, lorsqu‟il n‟apparaît compréhensible que du point de vue du système.
9
Sexuation & insignes du père
Que ce soit Gueydan ou Lasnik, l‟une et l‟autre font grand cas des formules de la sexuation promues par Lacan. Mon impression est qu‟elles banalisent tellement la pensée de celui-ci qu‟on finit par se demander à quoi bon ce détour. Il aurait suffit me semble-t-il de rabattre la psychologie sur la biologie ou sur la sociologie pour en arriver au même point où elles parviennent. Comme j‟avoue pour ma part ne rien comprendre aux formules de Lacan, je renonce à engager le débat sur ce terrain. En revanche, je ne puis passer sous silence un autre détournement de sens commis cette fois par Lasnik en un point crucial de son argumentation. Elle en est parvenue, dans son exposé du débat entre Jones et Freud sur la constitution de l‟identité féminine, à l‟arbitrage de Lacan suivant quoi, « même si une femme n‟a pas le phallus, elle n‟est pas sans l‟être » 3. Mais avant d‟aller plus loin dans la théorie de Lacan elle croit bon de citer un extrait de la dernière conférence de Freud sur la féminité 4 :
Il n‟était pas inutile de citer ce texte auquel Gueydan fait dire le contraire de ce qu‟il dit. Freud parle d‟ « élaboration secondaire » (sekundäre Bearbeitung) au sens d‟un travail supplémentaire mis au service de la censure et du maintient des refoulements. L‟effet en est un travestissement du matériel psychique. En revanche, ce que Gueydan veut faire dire à ce texte c‟est que ce qu‟elle appelle « remaniement de l‟Œdipe » correspond à ce qu‟en psychanalyse on nomme soit « élaboration psychique » (psychische Verarbeitung), par quoi on désigne le travail accompli par l‟appareil psychique en vue de maîtriser les excitations, soit « perlaboration » (Durcharbeitung), qui désigne le processus par lequel l‟analyse intègre une interprétation et surmonte les résistances qu‟elle suscite 2. C‟est là un détournement de
Mais n‟oubliez pas que nous n‟avons décrit la femme que dans la mesure où son être est déterminé par sa fonction sexuelle. Cette influence va, certes, très loin mais nous ne perdons pas de vue que telle ou telle femme peut bien être aussi par ailleurs un être humain.
Laznik prend Freud au mot. N‟a-t-il pas dit qu‟il n‟appartient pas à la psychanalyse de décrire ce qu‟est la femme, mais d‟examiner comment
FREUD (1912-1913) : Totem et tabou, IIIe essai, §4, in GW, 9 : 117 ; SE, 13 : 95 ; OCF, 11 : 306. 2 LAPLANCHE & PONTALIS (1967), Vocabulaire de la psychanalyse, pp. 130-132 et 305-306.
LAZNIK (2003) : L’Impensable désir..., p. 72. FREUD (1933a) : Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, 33e conférence ; GW, 15 : 145 ; SE, 22 : 135 ; nouvelle trad. franç. par Rose-Marie Zeitlin, Paris, Gallimard, 1984, p. 181.
1
3 4
24
elle le devient 1 ? Elle en conclut que selon Freud le sujet féminin est divisé en un être humain et en un être sexué. Gueydan soutient une position plus radicale encore, puisqu‟elle affirme hautement que la femme n’est sexuée que de surcroît 2. Le moins qu‟on en puisse dire est qu‟en ce qui concerne Freud lui-même cette interprétation est tirée par les cheveux. Selon Freud, hommes et femmes nous ne sommes pas issus d‟un état (neutre ?) qui se dénommerait un « être humain », mais d‟un enfant aux dispositions bisexuelles. Je ne veux pas considérer non plus quelle est la position de Lacan sur le sujet. Le fait est que non seulement Gueydan et Lasnik, mais encore de nombreux psychanalystes de tous bords estiment que nous sommes d‟abord des êtres humains et puis des êtres sexués. Mais c‟est là une erreur. Nous sommes d‟emblée sexués. Les « gender studies » ont eu au moins le mérite de le prouver. En langue française on se reportera aux excellents comptes rendus publiés par Colette Chiland (1997 et 1999). À quoi cela rime-t-il de faire la distinction entre sujet humain et sujet sexué ? Écoutons Lasnik s‟expliquer 3 :
Laissons de côté ce que Lasnik attribue à Freud ou à Lacan. Laissons même de côté ce qu‟il en est de l‟Idéal∙du∙Moi. Voyons d‟un peu près cette question des insignes du père. Les exemples affluent. De nombreuses femmes arborent au poignet une montre masculine, voire même la montre de leur père, et combien d‟autres ont monté un bouton de manchette de leur père en bague, et certaines de ces bagues ne quittent jamais leur doigt. Malgré les apparences et ce que disent souvent les psychanalystes, la boîte à bijou ne représente (ou ne symbolise) le sexe de la femme qu‟en tant que réceptacle des insignes du père. Par contre, je ne comprends pas très bien comment ces « insignes du père », qui servent à la mascarade sexuelle, peuvent constituer « la condition d‟être humain de tout un chacun » comme semble l‟affirmer Lasnik. Comment faut-il comprendre ces insignes du père ? Il me semble qu‟en ce qui concerne ces femmes il suffit de les reporter sur l‟équation symbolique en zigzag développée par Freud : Fèces Cadeau Pénis Enfant Ce sont des dédommagements reçus du père pour compenser le méfait perpétré par la méchante mère d‟avoir mis au monde une fille et non pas un garçon. N‟allons pas plus loin dans la critique. On a vu à quel point il est difficile d‟être lacanien, et il est dommage qu‟il faille que cela s‟accomplisse au prix de détournements exécutés sur le corpus freudien, au prix d‟erreurs caractérisées, et au prix d‟un éclectisme banalisateur. Pour ma part je propose un autre chemin que celui qui verse dans l‟ornière œdipienne, pour essayer d‟appréhender ce qu‟il y a de nouveau et d‟inouï dans la « folie de la maternité amoureuse » en tant que déroute du désir.
Pour paraphraser Lacan, je dirais qu‟un sujet, née de sexe féminin, n‟est pas toute soumise à sa condition de femme. Nous avons vu que, dans ce long trajet pour devenir femme, la petite fille œdipienne va, à un moment donné, sous l‟effet des nécessaires déceptions de ses demandes auprès de son père, quitter son amour pour lui et se réfugier dans une identification à ses insignes, base de son Idéal du Moi. Cet Idéal du Moi, chez la fille comme chez le garçon, est d‟origine paternelle et constitue ce que Freud appelle la condition d‟ « être humain » de tout un chacun. L‟autre partie, chez une femme, est celle qui accepte de se faire objet du désir pour un Autre. FREUD (1933a), Idem ; GW, 15 : 124 ; SE, 22 : 116 ; nouvelle trad. franç., p. 156. 2 GUEYDAN (1991) : Femmes en ménopause, p. 39. 3 LAZNIK (2003) : L’Impensable désir..., pp. 73-74. 1
25
mais sans le savoir, au bénéfice d‟un autre, pour la jouissance duquel il exerce son action de pervers ». Cet autre étant, dans le cas de ce patient, l‟amie de la famille. Bien plus tard elle lui confia qu‟elle s‟était donnée à lui délibérément, et non pas accidentellement comme il le croyait. Sa mère lui avait un jour confié le souci qu‟elle se faisait pour lui, considérant qu‟il se dévoyait. Elle décida alors de « se sacrifier pour le sauver », n‟attendant plus que le moment propice.
III. Le désir en déroute
10
Deux âmes secourables
Être une âme secourable c‟est une vocation. Il m‟est possible de présenter à mon tour deux autres vignettes allant tout à fait dans le sens de l‟argumentation de Freud à propos des « femmes secourables » du genre de « Mrs C... », l‟héroïne de Zweig. C‟est un jeune cadre qui venait d‟accéder à la parentalié, en était perturbé, et venait consulter pour se débarrasser de symptômes psychosomatiques gênants. En cours d‟analyse, il communiqua, comme un à côté, un épisode de perversion transitoire remontant à sa première jeunesse. Il était devenu un collectionneur de pucelages. Il savait si bien s‟y prendre avec ses jeunes « victimes » qu‟il n‟y avait pas une seule goutte de sang versé. On peut presque dire qu‟il était devenu une sorte de serial killer au négatif. Au cours de l‟anamnèse il se souvint qu‟étant adolescent il avait été fort turbulent. L‟on se plaignait au collège de son intérêt un peu trop précoce et trop poussé pour les choses du sexe. De fait, sa vie hétérosexuelle avait commencé très tôt. Entre autres aventures, il raconta qu‟il fut « déniaisé » par une amie de la famille qui l‟avait cru puceau. Elle était plus proche de l‟âge de sa mère que du sien. Encore vierge, elle saigna abondamment pendant trois jours, et il se souvient qu‟il se fit beaucoup de souci pour elle. Il la sympathisait énormément et s‟entendait très bien avec elle. Sa perversion transitoire a été sans doute réactionnelle à cet épisode douloureux, et elle correspond à la formule de la perversion que j‟ai proposée à la fin de notre dernière réunion 1 : « Le pervers occupe lui-même la place de l‟objet,
L‟autre personne est une quadragénaire, mère de famille, et cadre supérieur dans une grande entreprise. Un jour qu‟elle se laissait compter fleurette à la cafétéria par un beau ténébreux, un homme à femmes, ce dernier lui fit remarquer un de leurs collègues qui passait par là. Il lui dit : « Regarde-le, celui-là c’est un onaniste ! » Que pensezvous qu‟il arriva ? En âme secourable qu‟elle était, elle prit l‟autre comme amant.
11
Rebuffade, déhiscence & claque
La psychologie de l‟âme secourable a été laissée pour compte par Freud dans son analyse de la nouvelle de Zweig se rapportant à « Mrs C... ». C‟est vraiment dommage parce que la nouvelle de Zweig nous offre un tableau complet de cet aspect absolument essentiel de la question qui nous taraude et qui se rapporte à la folie de la maternité amoureuse. Reprenons le texte de Zweig en nous concentrant sur cette question. Il est possible de distinguer une série d‟étapes comme suit : 1/ Le point de départ de la nouvelle de Zweig est le passage à l‟acte spontané, automatique, apparemment immotivé. Dans le réflexe d‟une personne secourable qui porte secours à une autre, s‟agit-il d‟un instinct irraisonné ? Voici ce que confie Mrs C..., la personne concernée :
AZAR (2004h) : « Les perversions sexuelles au regard de la sexualité féminine », §7. 1
26
... on ne peut ni analyser ni disséquer de telles impressions ; surtout parce qu‟elles se produisent, enchevêtrées l‟une dans l‟autre, avec trop de violence, de rapidité et de spontanéité ; il est probable que je ne faisais là pas autre chose que le geste absolument instinctif que l‟on fait pour secourir et retenir un enfant qui, dans la rue, va se jeter sous les roues d‟une automobile. (p. 60)
de loin, il se mit soudain à pleuvoir, mais il n‟en avait cure. C‟est alors qu‟elle courut à lui spontanément pour le secourir. Il la prit pour une courtisane, et par un nouveau malentendu ils se retrouvèrent dans un hôtel de passe. Le lendemain matin, quand elle se réveilla et rassembla ses esprits, elle fut terrifiée. Il fallait fuir. Sa curiosité la perdit : elle jeta un coup d‟œil sur son compagnon et s‟abîma dans sa contemplation. Contrastant avec son aspect de la veille, il avait maintenant dans son sommeil un visage angélique et bienheureux. Mrs C... poursuit :
Devons-nous donc abandonner toute exploration de type psychologique ? Zweig répond : non !
À cet aspect étonnant, toute anxiété, toute peur tomba de moi, comme un lourd manteau noir ; je n‟avais plus honte, non, j‟étais presque heureuse. Cet événement terrible et incompréhensible avait soudain un sens pour moi ; je me réjouissais, j‟étais fière à la pensée que ce jeune homme, délicat et beau, qui était couché ici serein et calme comme une fleur, aurait été trouvé, sans mon dévouement, quelque part contre un rocher, brisé, sanglant, le visage fracassé, sans vie et les yeux grands ouverts ; je l‟avais sauvé, il était sauvé ! Et je regardais maintenant d‟un œil maternel (je ne trouve pas d‟autre mot) cet homme endormi à qui j‟avais redonné la vie Ŕ avec plus de souffrance que lorsque mes propres enfants étaient venus au monde.
2/ Non, la spontanéité de Mrs C... n‟est pas immotivée. La personne qu‟elle a secourue lui est apparue « sous l‟aspect d‟un fusillé ». Elle ajoute : « jamais je n‟ai vu un geste physique exprimer autant de lassitude et de désespoir » (p. 62). Elle ajoute encore que dans ce désespoir il y avait un « abandon absolu de sa personne », et une « indifférence suprême à l‟égard de sa propre existence » (pp. 64-65). Ainsi, ce qui a agi comme déclencheur est l‟indifférence de l‟autre personne à la vie, son état de désaide (Hilflosigkeit) 1, selon la terminologie freudienne.
Le troisième malentendu se produit entre Mrs C... et elle-même. Bien qu‟elle se soit trouvée la veille précipitée dans la sphère des représentations sexuelles, le lendemain elle met en action le mécanisme du déni et parle, avec embarras, d‟un regard « maternel ». Sur ces entrefaites le jeune homme se réveille. Des plans sont arrêtés pour la journée. Elle promet d‟éponger ses dettes, et il promet de renoncer à sa passion pour le jeu, et de retourner chez lui le soir même par le train. Entre-temps ils font du tourisme et c‟est merveilleux. La veille le jeune homme l‟avait prise pour une courtisane, aujourd‟hui c‟est une envoyée du Ciel, une sainte, une Madone. Ainsi, le jeune homme prolonge le malentendu de cette femme avec elle-même.
3/ Jusque là tout se passait semble-t-il en dehors de la sphère des représentations sexuelles. Mrs C... nous dit en effet (p. 60) : ... je n‟étais, par exemple, nullement amoureuse de ce garçon ; je ne pensais nullement à lui comme à un homme ; et de fait, moi qui était alors une femme de plus de quarante ans, je n‟ai jamais plus, après la mort de mon mari, jeté un seul regard sur un homme. C‟était pour moi une chose définitivement révolue...
Un malentendu de la part du jeune homme précipite cette femme dans la sphère des représentations sexuelles. Pendant qu‟il est assis sur un banc à la sortie du casino, et qu‟elle l‟observe 1
Cf. LAPLANCHE (1989) : « Terminologie raisonnée », pp. 94-95. 27
... si cet homme m‟avait alors saisie, s‟il m‟avait demandé de le suivre, je serais allée avec lui jusqu‟au bout du monde ; j‟aurais déshonoré mon nom et celui de mes enfants... Indifférente aux discours des gens et à la raison intérieure, je me serais enfuie avec lui (...) Je n‟aurais pas demandé ni où j‟allais, ni pour combien de temps ; je n‟aurais pas jeté un seul regard derrière moi, sur ma vie passée... J‟aurais sacrifié à cet homme mon argent, mon nom, ma fortune, mon honneur... Je serais allée mendier, et probablement il n‟y a pas de bassesse au monde à laquelle il ne m‟eût amenée à consentir. J‟aurais rejeté tout ce que dans la société on nomme pudeur et réserve ; si seulement il s‟était avancé vers moi, en disant une parole ou en faisant un seul pas, s‟il avait tenté de me prendre, à cette seconde j‟étais perdue et liée à lui pour toujours.
4/ Le malentendu ne dure pas au-delà de la séparation. Le jeune homme s‟en va comme convenu pour prendre son train, et elle reste seule. Elle ressent soudain une douleur physique, comme s‟il l‟avait violemment agressée, et pourtant il s‟était comporté très correctement. Écoutons Mrs C... s‟expliquer (p. 104) : Quelque chose m‟avait fait un mal mortel, mais je ne savais pas (ou bien je refusais de savoir) de quelle manière l‟attitude à l‟instant si attendrissante et pourtant si respectueuse de mon protégé m‟avait blessée si douloureusement.
Elle était cruellement déçue ! Et ce n‟est que rétrospectivement qu‟elle pouvait en donner la raison qui lui avait échappé sur le moment :
Ce phénomène je l‟ai nommé « déhiscence ». Je me propose d‟y revenir à notre dernière réunion.
... ce qui alors me fit tant de mal, c‟était la déception... la déception... que ce jeune homme fût parti si docilement... sans aucune tentative pour me garder, pour rester auprès de moi... qu‟il eût obéi humblement et respectueusement à ma première demande l‟invitant à s‟en aller, au lieu... au lieu d‟essayer de me tirer violemment à lui... qu‟il me vénérât uniquement comme une sainte apparue sur son chemin... et qu‟il... qu‟il ne sentît pas que j‟étais une femme.
6/ Adonnée à la folie de la maternité amoureuse et menacée dans sa féminité, Mrs C... était prête à faire un don total de soi jusqu‟à une déhiscence absolue de son être. Il n‟a pas dépendu d‟elle que cela lui fut épargné, car elle courut à la gare suivre son destin. Trop tard, Ŕ le train était parti. Si elle retourna le soir au casino c‟était pour bercer ses regrets. Quelle ne fut pas sa stupéfaction de retrouver son obligé assis à une table de jeu. Sa passion pour le jeu avait été la plus forte. Elle essaya de le tirer de là, il la traita de rabatjoie. Elle insista, il se fâcha, l‟invectiva et la repoussa. De ce qu‟elle ressentit elle dit (p. 118) :
Il s‟agit d‟une rebuffade. La série de malentendus qui se sont engrenés autour de la double postulation vers le haut (la madone) et vers le bas (la putain) écartèlent la féminité de Mrs C... Elle crie de douleur. Mais en même temps elle tombe dans le piège le plus terrible qui se puisse. Car la rebuffade agit comme un « ardillon » (AZAR, 2004c) dont on demeure inexorablement captif.
Je ne saurais vous décrire mon amertume. Mais vous pouvez imaginer ce que je ressentais ; pour un homme à qui l‟on a donné toute sa vie, n‟être pas plus qu‟une mouche qu‟une main indolente chasse avec lassitude !
5/ Le piège est ce prix exorbitant que doivent payer les personnes adonnées à la folie de la maternité amoureuse. Encore une fois donnons la parole à Mrs C... qui, grâce au talent d‟expression que lui prête Zweig, est capable de nous dire rétrospectivement à quel malheur elle a pu échapper sans qu‟il y eut de son mérite (p. 105) :
C‟est ce que j‟appelle « la claque » (AZAR, 2004c). Cette fois sa féminité n‟est pas seulement ignorée ou écartelée. Elle est foulée aux pieds, elle est réduite à rien et à moins que rien, Ŕ à une mascarade. 28
Pour Michel del Castillo, un autre de ses biographes, sa liaison avec Bertrand de Jouvenel fut paisible et sereine. Le jeune Bertrand était trop admiratif du talent de sa maîtresse pour qu‟il y eût un quelconque conflit. Colette a pu le chérir, le guider et le commander, s‟abandonnant à « un sentiment maternel, qu‟on peut certes qualifier de perverti, mais qui n‟en garde pas moins la douceur (1) ». Ce furent ses années les plus heureuses : épouse d‟un baron, ce qui lui donnait une façade sociale, elle possédait en Bertrand l‟amant avec le fils. Simone de Beauvoir aborde aussi le lien avec le fils que l‟on adopte et qui devient souvent l‟amant. Elle pense ici explicitement à Chéri (2) et à l‟amour qu‟un adolescent peut donner à une maîtresse maternelle.
7/ Tout se pardonne sauf ça. Il faut distinguer la claque de la rebuffade. On a vu que la rebuffade peut précipiter le sujet dans la déhiscence, mais elle maintient le malentendu de la sexuation. Exaltée ou rabaissée, madone ou courtisane, la femme n‟est pas remise en question en son être sexué. La claque, en revanche, ramène la féminité à une mascarade, c‟est un maquillage qui coule sur un visage défait 1. Néanmoins, aussi douloureuse soit-elle, la claque recèle souvent une qualité positive. Elle peut agir comme réveil-matin (AZAR, 2005a). Dans le cas de Mrs C... elle l‟a guérie. Il arrive quelquefois qu‟on vienne alors nous consulter...
12
_______________ (1) Castillo M. del, Colette, une certaine France, Paris, Stock, 1999, p. 322. (2) En 1949, il est possible que Bertrand de Jouvenel, le beau-fils et amant de Colette, soit encore pris pour Chéri. Mais n‟est-ce pas ce roman qui induisit l‟histoire qui devait le dépasser largement ? Là encore nous voyons que la réalité dépasse la fiction.
Le sentiment maternel perverti
Il arrive aussi qu‟il en aille autrement. Il arrive que le jeune « candide » soit preneur. C‟est justement ce qui est arrivé à l‟écrivain Colette (1873-1954). Elle épouse le baron Henry de Jouvenel en 1912. Il a déjà un fils Ŕ Bertrand Ŕ né en 1903. Ce dernier est adolescent lorsque Colette entreprend son éducation sentimentale... en s‟y donnant corps et âme. Il ne la quitte pas un instant. Elle l‟emmène partout, au théâtre, en voyage. Voici un extrait de Laznik décrivant ce lien 2 :
C‟est à bon escient que Michel del Catillo parle d‟ « un sentiment maternel qu’on peut certes qualifier de perverti ». C‟est de cela exactement qu‟il s‟agit lorsque je parle moi-même de « folie de la maternité amoureuse » en tant que perversion sexuelle, et c‟est ce que je compte maintenant développer à partir d‟un cas précis grâce à Balzac.
À travers ce lien, Colette se réconciliera avec son enfance et le souvenir de sa propre mère. C‟est sur ses instances, et avec lui, qu‟elle fera le voyage de Saint-Sauveur.
Cf. par exemple la scène des retrouvailles entre Noodles et Déborrah qui se démaquille, in Once upon a time in America / Il était une fois en Amérique, le film-culte de Sergio Leone (1983) ; ou encore le dernier plan de Mort à Venise, le film-culte de Luchino Visconti (1971), straring Dirk Bogarde. 2 LAZNIK (2003) : L’Impensable désir..., pp. 238-239, et notes p. 248. Les deux notes sont de Laznik. Saint-Sauveur est le lieu de naissance de Colette. Dans la deuxième note, « 1949 » est une coquille. Il faut sans doute rectifier par « 1919 ». La référence à de Beauvoir renvoie à : Le Deuxième sexe, tome II, pp. 286-287. 1
29
ﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋ
e-mail :
[email protected]
’Ashtaroût Cahier hors-série n° 6 (décembre 2005) ~ Matriochkas & autres Lolitas / L’Eternel féminin, pp. 30-41 ISSN 1727-2009
Amine Azar
La Folie de la maternité amoureuse : Balzac 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9.
1
yeux de Julien Gracq 1. Il s‟agit de Béatrix. Ce sont surtout les dix premières pages de la IIe partie de ce roman qui nous intéresseront. Néanmoins, un bref résumé de l‟intrigue ne sera pas de trop. J‟avais pensé me fier à la rubrique du Nouveau Dictionnaire des Œuvres, mais elle est plutôt décevante, je l‟ai amendée sans façon :
Balzac psychologue L‟histoire de « Béatrix » À la recherche du nœud de l‟intrigue Le point d‟inflexion Cette folie de la maternité amoureuse Le syndrome du fil à la patte Balzac clinicien George Sand persiste & signe En résumé
BEATRIX. Ŕ Récit de l‟écrivain français Honoré de Balzac (1799-1850), qui fait partie des Scènes de la vie privée de La Comédie humaine. Dans l‟édition définitive (le Furne corrigé) comporte trois parties, les deux premières ayant été publiées en 1839, la troisième en 1844. Les deux premières parties, intitulées respectivement « Les personnages » et « Le drame », se passent à Guérande (en Bretagne), la troisième à Paris. La première partie nous présente à tour de rôle les lieux et les personnages. Vient d‟abord Calyste du Guénic. Fils unique et enfant gâté, il est l‟héritier d‟un grand nom. Balzac le campe dans le rôle d‟un Chérubin ingénu, pour ne pas dire nigaud. À vingt ans, il est d‟une beauté angélique avec encore du duvet sur les joues. Il faut qu‟il jette sa gourme. L‟année précédente il s‟était amouraché d‟une femme qui venait occasionnellement à Guérande, Mlle Félicité des Touches, âgée de quarante ans, célèbre romancière et dramaturge sous le pseudonyme de Camille Maupin. Elle l‟avait repoussé alors à cause de leur écart d‟âge (elle pourrait être sa mère), mais l‟ayant pris en affection elle résolut de lui former l‟esprit. Cet été (nous sommes en août 1836), elle est revenue à Guérande en compagnie d‟un critique littéraire de renom, âgé de trente-sept ans, sur qui elle avait des vues. Calyste passe avec eux le plus clair de son temps.
Balzac psychologue
Le problème psychologique de la « maternité amoureuse » ne pouvait échapper à Balzac, lui qui s‟était taillé une réputation de connaisseur du cœur humain et plus particulièrement des peines de cœur des femmes. Sa réputation n‟est pas surfaite. Il nous a effectivement entretenus de tous les âges de la femme, dans tous les états et les situations, à Paris comme en province. Qu‟un problème psychologique quelconque se pose au sujet des femmes, et on lui trouvera sa solution balzacienne à telle page ou telle autre de La Comédie Humaine. En ce qui concerne la maternité amoureuse, La Comédie Humaine propose effectivement plusieurs cas de figure, le plus célèbre étant celui qui fait le fonds du Lys dans la vallée (1835). Il en est d‟autres. Je suis tombé un peu par hasard sur celui qui fait l‟objet de cet exposé.
2
L’histoire de « Béatrix »
Nous avons affaire à une œuvre mineure et négligée de Balzac. Ce livre « si merveilleusement dépareillé, si singulièrement échoué dans un repli de l’œuvre », ne semble avoir trouvé grâce qu‟aux
1
30
OdB, tome IX, préface de Julien Gracq, p. 234 ; éd. G-F, p. 26.
L‟action s‟engage lorsque la marquise de Rochegude, née Béatrix de Casteran, se fait annoncer 1. L‟odor di femina a ici un parfum de scandale. Deux ans plus tôt, elle avait quitté mari et foyer pour suivre un compositeur (Gennaro Conti) dans ses tournées. Elle est maintenant rivée à sa chaîne parce qu‟on peut lui pardonner l‟amour mais non pas le libertinage. Balzac a d‟ailleurs pensé intituler son récit : « Les amours forcées », ayant pris modèle sur l‟idylle de Marie d‟Agoult avec Franz List. Pour corser le tout, notre marquise avait enlevé son compositeur à son amie Félicité. Cette dernière prépare donc Calyste à cette venue en lui faisant le portrait physique et moral des deux nouveaux personnages. Calyste est déjà sous le charme de cette Béatrix, une blonde de vingt-huit ans, et, dès qu‟il la verra, il en sera éperdument amoureux. Parallèlement à cette intrigue, une autre est tramée par les parents de Calyste. Pour contrer la mauvaise influence de Félicité des Touches, on manigance au château de le marier à une cousine fortunée. Le premier rôle de la deuxième partie (intitulée « Le Drame ») est conféré au critique Claude Vignon. Il n‟est pas dupe de la finesse de Félicité. Il sait qu‟elle ne l‟aime pas, mais l‟a entraîné en Bretagne pour l‟étudier et décider si elle peut se lier à lui le restant de ses jours. Il sait aussi qu‟elle aime éperdument Calyste mais qu‟elle a renoncé à lui par lâcheté à cause de l‟écart des âges. En somme elle l‟utilise luimême pour se protéger de Calyste. Mais il sait que ce dernier vient de tomber éperdument amoureux de Béatrix, que cet amour sera un obstacle suffisant pour la tranquillité de Félicité, et qu‟on n‟a donc plus besoin de lui. Il s‟en va le lendemain avec Conti, qui n‟était venu que pour accompagner Béatrix. Bon gré mal gré, Félicité se trouve réduite à favoriser les amours de Calyste. D‟un autre côté, ce dernier, trop épris de Béatrix, éconduit sa cousine, et sa propre mère se retrouve elle aussi à favoriser ses amours avec la marquise. Mais la niaiserie de notre Chérubin est telle, qu‟elle fait tout rater au moment où il allait triompher. Conti revient, lui tire les vers du nez et emporte la marquise. Calyste inconsolable se
meurt. Félicité se dévoue pour le sauver. Elle le marie avec une jeune héritière titrée à qui elle laisse une part de sa fortune, et se retire dans un couvent. Balzac n‟était pas satisfait de cette fin et prévoyait une suite. Soit qu‟il eût été trop occupé, soit qu‟il voulût connaître l‟évolution de l‟idylle entre Mme d‟Agoult et Liszt, cette partie ne parut qu‟en 1845. Il avait envisagé deux titres : « La lune de miel » et « Les manèges d’une femme vertueuse ». Un ou deux ans plus tard, Calyste retrouve à Paris sa marquise, abandonnée par le compositeur. Il retombe sous son charme et néglige son ménage. Mais sa belle-mère prend les choses en main, et tout rentre dans l‟ordre. Calyste est déniaisé et en est quitte pour soigner une maladie vénérienne.
Je dirai franchement que je ne partage pas l‟émotion qu‟éprouve Julien Gracq pour cette œuvre. C‟est un roman plutôt raté, qui vaut plus par la conception que par l‟exécution. Hormis les quinze premières pages de la IIe partie, à aucun autre moment je n‟ai eu l‟impression que les personnages se mettaient à vivre. Ce sont des automates mécaniques. Mais la conception en est grandiose. Il n‟est pas trop surprenant que les contemporains de Balzac ne l‟aient guère perçu puisque les nôtres ne s‟en sont pas plus avisés. Car je partage le jugement de Gracq suivant quoi : « La psychologie de Balzac atteint ici à des perspectives qu‟on croirait à tort réservées au seul Dostoïevski » 2.
3
À la recherche du nœud de l’intrigue
Comme le répètent toutes les notices, pour les contemporains de Balzac, l‟intérêt de ce roman s‟était limité à la transposition de l‟idylle entre Franz Liszt et Marie d‟Agoult. Les titres primitifs (les galériens de l’amour, ou les amours forcées), les aveux de Balzac, ainsi que les nombreuses allusions à l‟Adolphe de Benjamin Constant (1816), supposé transposer la liaison de celui-ci avec Mme de Staël, étaient propres à accréditer
Dans une ultime correction, Balzac en a fait un personnage reparaissant en remplaçant « Rochegude » par « Rochefide », la destinataire de l‟histoire de Sarrasine. C‟est ce hasard qui m‟a conduit à lire Béatrix après avoir travaillé sur Sarrasine ( → AZAR, 2004d). 1
2
31
OdB, 9 : 228 ; éd. G-F, p. 21.
comte Albert de Bavière, le grand amour de sa vie. Mais bientôt, expulsée de Belgique, elle gagna l‟Espagne, revint en France, où le public dont elle avait été l‟idole la délaissa. Elle entra alors dans un couvent, où elle mourut en 1707.
cette idée. Au demeurant, nul doute que la liaison entre Liszt et Marie d‟Agoult n‟ait effectivement été pour Balzac le primum movens de son inspiration. Au surplus, dans son laconisme, le titre définitivement retenu Ŕ Béatrix Ŕ ne peut que renforcer cette impression puisqu‟il focalise l‟attention sur cette femme tombée et sur son très curieux relèvement mille fois plus humiliant que sa chute. Je soupçonne que Balzac la haïssait viscéralement, et qu‟il a tenu à rédiger la III e partie de son roman pour exercer contre elle son sadisme. Il faut néanmoins se départir de cette impression générale pour accéder à un autre niveau d‟analyse où l‟aura de la femme de trente ans, en sa beauté épanouie, ne masque point la femme de quarante ans que la perspective de l‟âge critique tourmente. On délaissera alors Béatrix pour s‟attacher à examiner de plus près l‟évolution psychologique de Mlle Félicité des Touches. Son nom de plume Ŕ Camille Maupin Ŕ en révèle le modèle historique, ayant déjà inspiré à Théophile Gautier (1836) un roman provocateur. Voici une présentation de cette femme remarquable d‟après la notice de Henri Evans (in OdB, tome IX) :
Balzac a retenu ce dernier trait. Quant au reste, c‟est la femme volontariste et indépendante qui lui a inspiré Félicité des Touches, sans le dévergondage et le trop fort parfum de scandale de son modèle, et il a substitué la plume à l‟épée. Quoiqu‟il en soit, repérer en Madeleine d‟Aubigny un modèle pour Félicité des Touches ne nous mène pas très loin. Aucun problème psychologique majeur ne procède de cette identification, et elle reste tout à fait extérieure à l‟intrigue. Cette voie aboutit à une impasse. Nous reprendrons cette question tout à l‟heure. Pour l‟instant retournons au cœur de l‟intrigue, c‟est-à-dire à la femme de quarante ans que la perspective du retour d‟âge tourmente. Le problème psychologique que Balzac s‟est attaché à explorer est celui de sa vie sentimentale. Son roman est une sorte d‟expérimentation mentale un peu crue. Balzac nous a simplifié le travail. C‟est pourquoi on n‟aura pas besoin de procéder ici comme à l‟accoutumée, autrement dit de transformer le roman en étude de cas. Au lieu d‟écrire un roman, Balzac a directement rédigé une étude de cas. Il le souligne lui-même dans sa préface, estimant que Calyste, Félicité et Béatrix sont des « types » qui manquaient à la Comédie humaine.
Née en 1673, fille d‟un des secrétaires du comte d‟Armagnac, Madeleine d‟Aubigny épousa très jeune le sieur Maupin, de Saint-Germain-en-Laye. Elle fut bientôt enlevée à son mari par le célèbre maître d‟armes Séranne et mena dès lors une vie d‟aventures. Très jolie, mince et fière, tantôt vêtue en homme et tantôt en femme, elle était une fine lame et chantait à ravir. Elle donna des leçons d‟armes et fit du théâtre. S‟étant éprise d‟une de ses admiratrices, jeune fille de bonne famille cloîtrée par ses parents, elle l‟enleva en mettant le feu au couvent. Condamnée à mort par contumace, elle se réfugia à Paris, triompha à l‟Opéra, et fit des ravages dans les deux sexes, tant par son charme que par son épée. À la suite d‟une querelle de bal masqué, elle accepta trois duels et coup sur coup mit à mal ses trois adversaires. Une autre fois, elle roua de coups le chanteur Duménil pour le punir de sa suffisance. À Bruxelles, elle devint la maîtresse du
4
Le point d’inflexion
Comme je l‟ai dit, ce sont les quinze premières pages de la IIe partie Ŕ intitulée « Le drame » Ŕ qui vont nous retenir. La division en trois parties est celle du « Furne corrigé », la voici : I. Ŕ Les amours forcés II. Ŕ Le drame III. Ŕ Un adultère rétrospectif 32
Auparavant le roman possédait une segmentation très poussée en Livres, Parties et Chapitres. Ainsi cette œuvre comportait deux Livres totalisant cinq Parties elles-mêmes divisées en de menus chapitres (soixante dix-huit !). Contentonsnous des grandes divisions, cela donne :
Félicité qui l‟a entraîné aux Touches avec duplicité. Il prévoit que ce ne sera pas long, car « entre deux duellistes de profession, le combat n’est pas de longue durée ». Après quoi il partira. Il aurait aimé rester pour le spectacle, et pour assister Calyste, mais il prévoit de partir, probablement le lendemain avec Conti, après s‟être expliqué avec Félicité. Calyste resta stupéfait, et Claude Vignon le quitta pour rejoindre la compagnie. Quand Calyste secoua sa torpeur la pendule sonnait les douze coups de minuit. La voix de Félicité et celle de Claude dans l‟autre pièce le tirèrent de son engourdissement :
Livre Ier : Béatrix ou les amours forcés [1839] I. Ŕ Une famille patriarcale (8 chap.) II. Ŕ Une femme célèbre (12 chap.) III. Ŕ La rivalité (8 chap.) Livre IIe : La lune de miel [1844] I. Ŕ Les adultères sous roche (33 chap.) II. Ŕ Les noirceurs d’une femme pieuse (27 chap.)
Avant qu‟il se montrât, il put écouter de terribles paroles prononcées par Vignon. Ŕ Vous êtes arrivée à Paris éperdument amoureuse de Calyste, disait-il à Félicité ; mais vous étiez épouvantée des suites d‟une semblable passion à votre âge, elle vous menait dans un abîme, dans un enfer, au suicide peut-être 2 ! L‟amour ne subsiste qu‟en se croyant éternel, et vous aperceviez à quelques pas dans votre vie une séparation horrible : le dégoût et la vieillesse terminant bientôt un poème sublime. Vous vous êtes souvenue d‟ADOLPHE, épouvantable dénouement des amours de madame de Staël et de Benjamin Constant, qui cependant étaient bien plus en rapport d‟âge que vous ne l‟êtes avec Calyste. Vous m‟avez alors pris comme on prend des fascines pour élever des retranchements entre les ennemis et soi. (...) Je vous ai devinée. (...) Vous n‟avez jamais été aimée, ma pauvre Félicité, et vous ne le serez jamais après vous être refusé le beau fruit que le hasard vous a offert aux portes de l‟enfer des femmes, et qui tournent sur leurs gonds poussées par le chiffre 50 ! (...) Adieu, ma chère, je pars demain.
Le plus curieux en l‟affaire est que, voulant simplifier la segmentation de son roman, Balzac coupe le Livre Ier en deux, et le couperet tombe au cours d‟un chapitre, deux pages après son début. C‟est ce chapitre-là Ŕ intitulé « Les deux amours » 1 Ŕ qui intéresse notre propos puisqu‟il faut le considérer comme le point d‟inflexion du Livre Ier du roman. Cela se passe à la veille du départ du compositeur Gennaro Conti. Le dîner était fini, on avait pris le café. Le jeune Calyste, déjà follement amoureux de Béatrix, croyait déplaire et se morfondait. On fit de la musique et il avait été abasourdi par le génie de Conti, Ŕ comment rivaliser avec lui ? Il se retira dans une chambre adjacente, se jeta sur un sofa et se roula dans le désespoir. La coupure du Furne corrigé intervient ici. Le critique Claude Vignon rejoint Calyste et le prend en pitié. C‟est avec cynisme qu‟il le détrompe et lui livre ses déductions : il est éperdument aimé de Félicité des Touche bien qu‟elle l‟ait rebuté ; il se fera plus ou moins facilement aimer de Béatrix s‟il sait bien se conduire. Quant à lui, Vignon, il projette de s‟expliquer avec
Les deux premiers thèmes viennent d‟être introduits : l‟âge critique et le dernier amour. Sur ces entrefaites Calyste révèle sa présence, et Balzac redonne la parole à Claude Vignon pour nous exposer le troisième et le quatrième
Béatrix, Livre Ier, IIe partie, chap. 12, OdB, 9 : 376-390 ; BdP, 2 : 746-755 ; éd. G-F, pp. 158-167 ; éd. Garnier, pp. 143152. L‟édition des œuvres de Balzac en Classiques Garnier reprend les anciennes divisions des romans que Balzac a draconiennement simplifiées dans l‟éd. Furne pour gagner de la place. 1
« Et l‟on parle du premier amour ! Je ne connais rien de terrible comme le dernier, il est strangulatoire », écrira Balzac dans les Ressources de Quinola. [Note de M. Regard, éd. Garnier, p. 147.] 2
33
thèmes, l‟amour altruiste et la volupté de la souffrance :
sera bonheur maternel, dit-il en lui lançant un regard railleur. Vous serez fière de ses triomphes.
Ŕ Nous vous avions cru parti, Calyste, dit Claude ; mais cette indiscrétion involontaire de part et d‟autre est sans danger : peut-être serez-vous plus à votre aise aux Touches en connaissant Félicité tout entière. Son silence annonce que je ne me suis point trompé sur le rôle qu‟elle me destinait. Elle vous aime, comme je vous le disais, mais elle vous aime pour vous et non pour elle, sentiment que peu de femmes sont capables de concevoir et d‟embrasser : peu d‟entre elles connaissent la volupté des douleurs entretenues par le désir, c‟est une des magnifiques passions réservées à l‟homme 1 ; mais elle est un peu homme ! dit-il en raillant. Votre passion pour Béatrix la fera souffrir et la rendra heureuse à la fois.
La dernière touche au tableau est apportée par Félicité elle-même : Elle se leva, se dressa devant ces deux hommes et les terrassa par les éclairs que lancèrent ses yeux où brilla toute son âme. Ŕ Pendant que Claude parlait, reprit-elle, j‟ai conçu la beauté, la grandeur d‟un amour sans espoir, n‟est-ce pas le seul sentiment qui nous approche de Dieu ? Ne m‟aime pas, Calyste, moi je t‟aimerai comme aucune femme n‟aimera !
Il s‟agit d‟un amour héroïque et altruiste, deux thèmes que nous avons déjà repérés. Mais il y a dans ce passage deux nuances de plus. D‟abord tout est magnifié. Le Moi∙Idéal est sans entraves, c‟est un Moi grandiose. Beauté, grandeur, don total de soi, constituent l‟avers de la médaille. Le revers se nomme, en termes techniques, la déhiscence, Ŕ c‟est une reddition sans conditions, c‟est l‟oblativité comme passion, c‟est un assujettissement éperdu. Nous repérons ensuite un trait essentiel de cette sorte de passion par quoi le sujet se met à part, représente une exception. Comme toutes celles qui se retrouvent dans son cas, Félicité se veut « seule entre toutes les femmes » à aimer de cette façon-là.
Le cinquième thème est exposé par le narrateur omniscient responsable de la narration, c‟est l‟héroïsme du sacrifice : Des larmes vinrent aux yeux de mademoiselle des Touches, qui n‟osait regarder ni le terrible Claude Vignon ni l‟ingénu Calyste. Elle était effrayée d‟avoir été comprise, elle ne croyait pas qu‟il fût possible à un homme, quelle que fût sa portée, de deviner une délicatesse si cruelle, un héroïsme aussi élevé que l‟était le sien.
Le compte y est presque. Il ne reste plus qu‟à appeler les choses par leur nom. C‟est encore l‟impitoyable Claude Vignon qui va le faire. Il avait dit qu‟il partait, et Félicité le conjurait de rester :
5
Cette folie de la maternité amoureuse
Nous pouvons maintenant dire que le compte est bon. « Folie de la maternité amoureuse », Ŕ telle est l‟heureuse expression qu‟a trouvée Julien Gracq 2 pour qualifier ce dont il s‟agit lorsque Claude Vignon interpelle Félicité des Touches avec ces mots : « Tout vous sera bonheur maternel ». Récapitulons les traits principaux du tableau de la folie de la maternité amoureuse brossé par Balzac :
Ŕ Claude, dit-elle, ne m‟abandonnez pas, que deviendrais-je ? Ŕ Qu‟avez-vous à craindre ? répondit le critique. Calyste aime déjà la marquise comme un fou. Certes, vous ne sauriez trouver une barrière plus forte entre vous et lui que cet amour excité par vous-même. Cette passion me vaut bien. Hier, il y avait du danger pour vous et pour lui ; mais aujourd‟hui tout vous
[Drôle de sexisme ! Les psychanalystes donnent plutôt la palme aux femmes dans les faits de masochisme...] (Aa) 1
2
34
OdB, tome IX, préface de Julien Gracq, p. 234 ; éd. G-F, p. 21.
une conduite susceptible, selon elle, de lui faire faire la conquête de sa marquise. Balzac nous y fait découvrir de l‟intérieure le cœur d‟une mère et le cheminement ou la confusion des sentiments dans ce cœur, Ŕ si l‟on veut reprendre le terme de Zweig invoqué dans la première partie de cette conférence. C‟est la suite du chapitre intitulé : « Les deux amours », et par ce titre englobant Balzac me paraît avoir voulu souligner l‟affinité des deux amours, celui de Félicité et celui de la baronne Fanny pour Calyste. Après la surprenante scène qu‟on vient de suivre, Calyste quitta Félicité et Vignon et rentra à l‟hôtel du Guaisnic où sa mère Ŕ la baronne Fanny du Guénic (née O‟Brien) Ŕ veillait encore à l‟attendre. Il a des larmes plein les yeux et sa mère s‟en inquiète 3 :
Ŕ Âge critique Ŕ Télescopage du premier et du dernier amour Ŕ Amour altruiste, oblatif, sans contrepartie Ŕ Volupté des douleurs entretenues par le désir Ŕ Héroïsme grandiose Ŕ Déhiscence Ŕ Être unique entre toutes les femmes
La « folie de la maternité amoureuse » est l‟empaquetage de ces réquisits que l‟on peut retrouver en clinique en tout ou en partie 1. « Folie » est cependant un terme vague. En psychopathologie, le problème qui se pose est celui des perversions sexuelles. À côté des névroses et des psychoses, faut-il envisager également une structure perverse ? Et si oui, les femmes y sont-elles aussi bien sujettes que les hommes ? Suivant les statistiques disponibles, sur cent cas grossièrement recensés de perversions sexuelles, moins d‟un cas concerne des femmes, à l‟exception des pratiques masochistes où le rapport paraît-il se renverse, il est d‟un cas pour les hommes sur vingt pour les femmes 2. Ces chiffres, dans leur crudité, ne doivent pas nous empêcher le parler de « structure perverse » au sens strict à propos des femmes, pourvu de poser autrement le problème de la structure perverse, Ŕ comme j‟ai essayé de le faire dans ma conférence de la semaine dernière. La déroute du désir se manifeste chez les femmes de plus d‟une manière, et toutes n‟ont pas été recensées comme il faut. Balzac semble avoir pressenti l‟une de ces voies. Du moins, c‟est ainsi que je comprends l‟épisode de Béatrix que nous examinons. Me le confirme un passage fort étrange qui lui succède immédiatement et où Balzac me semble avoir enfoncé le clou plus avant. On y voit la mère de Calyste lui conseiller
Ŕ Mais tu n‟es pas dans ton assiette ordinaire, mon fils, dit la baronne en contemplant son fils. Que t‟est-il arrivé ? Ŕ Félicité m‟aime, et je ne l‟aime plus, dit-il. La baronne attira Calyste à elle, le baisa sur le front, et Calyste entendit dans le profond silence de cette vieille salle brune et tapissée les coups d‟une vive palpitation au cœur de sa mère. L‟Irlandaise était jalouse de Félicité, et pressentait la vérité. Cette mère avait, en attendant son fils toutes les nuits, creusé la passion de cette femme ; elle avait, conduite par les lueurs d‟une méditation obstinée, pénétré dans le cœur de Félicité, et, sans pouvoir se l‟expliquer, elle avait imaginé chez cette fille une fantaisie de maternité. Le récit de Calyste épouvanta cette mère simple et naïve. Ŕ Hé ! bien, dit-elle après une pause, aime madame de Rochefide, elle ne me causera pas de chagrin. Béatrix n‟était pas libre, elle ne dérangeait aucun des projets formés pour le bonheur de Calyste [i.e. son mariage avec sa cousine], du moins Fanny le croyait, elle voyait une espèce de belle-fille à aimer, et non une autre mère à combattre.
Dans une étude suggestive et judicieuse, Randa Nabbout (2005), « La déhiscence féminine au foyer », §7, a montré de plus que la folie de la maternité amoureuse est monoparentale. 2 KAPLAN (1991) : Female perversions..., pp. 6-7.
Béatrix, Livre Ier, IIe partie, chap. 12, éd. Garnier, pp. 151-152 ; BdP, 2 : 754-755 ; OdB, 9 : 388-390 ; éd. G-F, pp. 166-167 ; éd. Folio, pp. 193-195. J‟ai souligné les mots significatifs et ajouté une explication entre crochets droits.
1
3
35
Ŕ Mais Béatrix ne m‟aimera pas ! s‟écria Calyste. Ŕ Peut-être, répondit la baronne d‟un air fin. Ne m‟as-tu pas dit qu‟elle allait être seule demain ? Ŕ Oui. Ŕ Eh ! bien, mon enfant, ajouta la mère en rougissant. La jalousie est au fond de tous nos cœurs, et je ne savais pas la trouver un jour au fond du mien, car je ne croyais pas qu‟on dût me disputer l‟affection de mon Calyste ! Elle soupira. Je croyais, dit-elle, que le mariage serait pour toi ce qu‟il a été pour moi. Quelles lueurs tu as jetées dans mon âme depuis deux mois ! de quels reflets se colore ton amour si naturel, pauvre ange ! Eh ! bien, aie l‟air de toujours aimer ta demoiselle des Touches, la marquise en sera jalouse et tu l‟auras. Ŕ Oh ! ma bonne mère, Félicité ne m‟aurait pas dit cela ! s‟écria Calyste en tenant sa mère par la taille et la baisant sur le cou. Ŕ Tu me rends bien perverse, mauvais enfant, dit-elle tout heureuse du visage radieux que l‟espérance faisait à son fils qui monta gaiement l‟escalier de la tourelle.
6
Le syndrome du fil à la patte
Une remarque incidente. Comme le suggère Maurice Regard (p. III), le roman de Balzac constitue une « vengeance par procuration ». George Sand avait un contentieux à régler avec Marie d‟Agoult, c‟est pourquoi elle préférait que ce soit un autre qui racontât les amours de Marie d‟Agoult avec Liszt, et en tirât les leçons. Quelle est la nature du contentieux ? On peut en débattre soit à partir de la biographie des protagonistes, soit à partir du texte du roman lui-même. Si l‟on opte pour cette seconde éventualité, une seconde alternative s‟ouvre devant nous, on peut estimer que la version du roman correspond à la confidence de George Sand, ou bien qu‟elle est de l‟invention de Balzac. Les critiques en débattent à loisir. Pour notre part, nous ne pouvons que privilégier l‟univers du roman, comme étant ce qui correspond à ce qui nous intéresse : la réalité psychique. Dans l‟univers du roman il nous est expressément dit que la marquise Béatrix de Rochefide avait enlevé le compositeur Gennaro Conti à son amie Félicitée des Touches. Cela nous permet de conclure qu‟elle est la proie de ce que j‟ai dénommé naguère le syndrome du fil à la patte (AZAR, 1989). C‟est un jeu d‟adolescence où un groupe de jeunes filles s‟échangent à tour de rôle le même garçon, chacune s‟assurant de sa féminité grâce à la ratification qu‟il est mesure de leur conférer. L‟élu, dispensateur de validation, jouit d‟une qualité première : de notoriété courante, il est un objet-de-convoitise-pour-femmes. Pour ce faire, il suffit en général qu‟il ait un fil à la patte, autrement dit que la rumeur lui attribue telle ou telle conquête, une diva, une star, telle ou telle liaison prestigieuse, tapageuse ou scandaleuse. Le syndrome du fil à la patte joue un rôle dans l‟intrigue de Béatrix, même si ce n‟est pas le premier rôle. C‟est un auxiliaire qui travaille en sous main. Dans le roman il entre en action à trois reprises. La première fois lorsque la marqui-
Le premier passage souligné montre que la jalousie de la baronne Fanny envers Félicité des Touches est un facteur d‟empathie, grâce à quoi elle l‟a devinée. Les deux passages soulignés suivants répondent avec toute la clarté désirable à nos questionnements : la fantaisie de maternité rend la femme perverse. Si les femmes ne sont pas sujettes aux mêmes perversions sexuelles que les hommes, en revanche elles s‟y connaissent en relations perverses. Cette intuition si joliment argumentée par Balzac est parfaitement corroborée par la clinique psychanalytique ainsi que l‟ont attesté, non sans embarras, Granoff & Perrier (1964) tout comme Piera AulagnierSpairani (1967) dans des textes qui sont des classiques de notre discipline, et, plus récemment, Louise J. Kaplan (1991) dans un livre attachant qui mérite d‟être mieux répandu.
36
se Béatrix enlève le compositeur Gennaro Conti à son amie Félicité des Touches. La seconde lorsque la baronne Fanny est jalouse de Félicité et la devine. La troisième enfin dans la stratégie ourdie par la baronne Fanny, avec la complicité ultérieure de Félicité, pour aider Calyste (le jeune nigaud) à conquérir Béatrix.
7
expériences personnelles, de celles de leurs amis et de celles de leurs connaissances. Ne pouvant l‟écrire elle-même, Sand suggéra à Balzac un sujet de roman qui serait la transposition de la liaison entre Franz Liszt et la comtesse d‟Agoult, sur le thème des « galériens de l’amour ». Ce thème procède de l’Adolphe de Benjamin Constant (1816) tel que Gustave Planche (1834) a proposé de le lire dans une étude célèbre. Cette lecture d‟Adolphe, sur laquelle les contemporains semblent s‟accorder, est résumée par Balzac dans sa préface. Dans cette préface il souligne son intention d‟avoir voulu présenter trois « types » 1 dont ne pouvait manquer sa Comédie humaine : Calyste, Béatrix, et Félicité. En ce qui concerne Béatrix, ce sont trois traits qu‟il met en avant :
Balzac clinicien
J‟ai suggéré plus haut que Mlle de Maupin en tant que personnage historique n‟est qu‟un paravent pour Mlle Félicité des Touches alias Camille Maupin, et un paravent trompeur, une fausse piste. Il faut en repasser par le roman de Gautier pour retrouver la bonne piste. Le thème qu‟a exploité Gautier est celui d‟une héroïne habillée tantôt en homme tantôt en femme et qui suscite de nombreuses amours dans l‟un et l‟autre sexe. L‟allusion contemporaine est transparente : c‟est de George Sand qu‟il s‟agit, dont les amours hétérosexuelles et saphiques ont défrayé la chronique, en particulier ses équipées avec Marie Dorval habillées en homme. C‟est sur cette piste qu‟à sans doute voulu nous mettre Balzac avec le signifiant « Camille Maupin ». Et de fait une foule d‟éléments parsemés au cours du récit sont autant d‟allusions directes à George Sand, aussi bien en sa qualité d‟écrivain à succès qu‟à sa personne, comme le fait de fumer le narguilé ou le houka, ou d‟être qualifiée de personne... amphibie ! Mais il y a plus. Revenons à la genèse de Béatrix. L‟année 1837 avait été très dure, Balzac se sentait épuisé. Il demande en janvier 1838 aux Carraud de l‟héberger à Frapesle. Nohant n‟est pas loin. Avant de quitter Frapesle il demande à George Sand de le recevoir. Elle est enchantée. Il arriva à Nohant le 24 février et en repartit le 2 mars. Pendant ce séjour ils bavardent depuis cinq heures du soir, après le dîner, jusqu‟à cinq heures du matin. Ils parlèrent de l‟amour, du mariage, et de la condition des femmes. Ils parlèrent de leurs
Sans Béatrix, l‟auteur aurait oublié de peindre les sentiments qui retiennent encore les femmes après une chute. Quand certaines femmes du haut rang ont sacrifié leur position à quelque violente passion, quand elles ont méconnu les lois, ne trouvent-elles pas dans l‟orgueil de la race, dans la valeur qu‟elles se donnent et dans leur supériorité même, des barrières presque aussi difficiles à passer que celles déjà franchies, et qui sont à la fois sociales et naturelles ? N‟était-ce pas aussi l‟un des plus beaux accidents de la passion, que cet ennoblissement dû à l‟amour vrai et qui peut relever une femme tombée ? Béatrice se purifie par l‟affection qu‟elle porte et qu‟elle inspire à Calyste, elle veut être une grande chose, une figure sainte pour lui, et s‟immole à sa propre grandeur. Enfin, n‟est-ce pas un enseignement terrible que celui des obligations contractées envers le monde par une faute ? Tout n‟est pas dit, quand une femme noble et généreuse à résigné sa part de souveraineté sociale et aristocratique. Elle est attachée à jamais à l‟auteur de sa ruine, comme un forçat à son compagnon de chaîne, ou si elle brise des liens contractés arbitrairement, elle tombe au niveau des femmes perdues. Le monde distingue encore entre la passion et la dépravation. Cette notion avait été promue par Charles Nodier (1820) dans son célèbre essai : « Des types en littérature ». 1
37
Tout cela concorde parfaitement avec la lecture que fait Gustave Planche de l’Adolphe de Benjamin Constant jusqu‟au vocabulaire, comme on en jugera par ce court extrait de Planche :
orgueil lui obnubilait l‟esprit. Il en est de même dans Béatrix, où Balzac a pris soin de nous dire qu‟en ce qui concerne la finesse elle ne fait pas le poids avec Félicité. Le roman s‟achève sur une souillure ignominieuse Ŕ puisque la malheureuse contracte une maladie vénérienne Ŕ mais on ne nous dit pas si elle devine la raison de la malveillance dont elle est victime. En tout cas, le moins qu‟on puisse dire est que Balzac déteste ce type de femmes. L‟art du romancier a cependant porté Balzac à élargir l‟intrigue de son roman jusqu‟à inclure son interlocutrice elle-même, celle qui lui en a suggéré l‟idée, Ŕ George Sand. Comme je l‟ai dit, Mlle de Maupin n‟est qu‟un paravent pour M lle des Touche derrière lequel se profile un type de femmes qui a cette fois toutes les sympathies de Balzac. En bavardant avec George Sand au cours de son séjour à Nohant, Balzac s‟est rendu compte à quel point celle-ci correspondait à ce type. J‟estime que Balzac est une sorte de psychanalyste avant la lettre, par son écoute et par son influence. Par « écoute », j‟entends cette disponibilité que nous devons avoir pour nous brancher aux couches profondes du psychisme de nos interlocuteurs. Par « influence », j‟entends le maniement du transfert et du contre-tranfert. À cet égard, le séjour de Balzac à Nohant est une cure psychanalytique dont Béatrix est le compte rendu. Il y détecta le « complexe » de Sand dans sa « folie de la maternité amoureuse ». Lui-même y était sensible par sa longue liaison avec la comtesse Laure de Berny (1777-1836), dite la « Dilecta ». En 1822, au début de cette liaison, Balzac avait vingt-deux ans, la Dilecta en avait le double (quarante-cinq ans) et était grand-mère. Lors du séjour de Balzac à Nohant, c‟est-àdire en février 1838, George Sand avait trentecinq, mais ce n‟est que dix à douze ans plus tard que sa cure avec Balzac allait véritablement porter ses fruits. Voyons comment, à titre posthume, puisque Balzac était entre-temps décédé,
Chaque jour, les deux forçats rivés à cette chaîne, qu‟ils pourraient briser, mais qu‟ils gardent par ostentation et par entêtement, s‟éveillent en maudissant. (p. 317)
Balzac s‟est donc acquitté de la « commande » de George Sand. Il a fait mieux. Par sa sévérité envers la marquise de Rochegude, ce roman constitue également une « vengeance par procuration » comme le suggère Maurice Regard (p. III). George Sand avait un contentieux avec Marie d‟Agoult, c‟est pourquoi elle préférait que ce soit un autre qui racontât les amours de Marie d‟Agoult avec Liszt, et en tirât les leçons. Une partie de la sévérité de Balzac envers Béatrix est donc « empruntée » à George Sand, mais une autre partie procède de son propre fonds. C‟est ce que révèle à mes yeux le changement après coup du nom de la marquise, car ce n‟est que dans l‟édition Furne de 1842 que Balzac a substitué Rochefide à Rochegude. Il nous suggère par là que l‟interlocutrice du narrateur dans Sarrasine et cette Béatrix sont deux incarnations du même type de femme. Dans une étude antérieure 1 j‟ai essayé de montrer que cette marquise recevait de la part du narrateur de Sarrasine une terrible leçon. Dans Béatrix, Balzac est franchement sadique avec elle. On lira au Livre II, IIe partie, le chapitre XXIV intitulé significativement : « une terrible leçon », à l‟issue duquel : « Béatrix tomba comme une morte sur son divan » 2. C‟est édifiant. En outre, dans Sarrasine, il ne semble pas que la marquise ait compris la leçon qui lui était infligée, et elle ne paraît pas jouir d‟une intelligence très fine. Sa fierté ou son AZAR (2004d), « Leçons de choses sur l‟éternel féminin & les transports amoureux à partir de Sarrasine », §§ 4, 9 & 12. 2 OdB, 9 : 620 ; BdP, 2 : 936 ; éd. Garnier p. 380 ; éd. G-F, p. 361. 1
38
C‟est alors que les calomnies qui se répandent à nouveau sur leurs relations finissent par révéler aux deux amis la véritable nature de leurs sentiments. François d‟abord en a honte, et s‟éloigne du moulin ; puis après y être retourné, il s‟aperçoit que la même prise de conscience s‟est accomplie chez Madeleine. Et l‟histoire se termine par de joyeuses noces.
le travail de perlaboration psychique s‟est poursuivi dans l‟esprit de George Sand.
8
George Sand persiste & signe
Dix ans après cette cure, au moment où la révolution de Février (1848) éclatait, la publication en feuilleton de François le champi, un roman champêtre de George Sand, n‟était pas encore terminée. Les graves événements politiques lui portèrent ombrage, et il n‟eut pas le succès escompté. Reprenons, suivant notre coutume, le résumé de l‟intrigue à partir du Nouveau Dictionnaire des Œuvres (t. 2, pp. 2906-2907) :
Dans son maître-livre sur L’Écriture-femme, Béatrice Didier (1981) n‟a pas manqué de consacrer un chapitre spécial à François le champi. Il est passionnant : que ce soit dans le repérage des fonctions du conte merveilleux suivant les catégories de Propp (1928) ; que ce soit dans le repérage de la fonction des romans champêtres dans le mode d‟écriture de George Sand ; ou que ce soit dans le repérage des « correspondances » entre la vie et l‟œuvre de cet auteur. Néanmoins, comme elle manque de repères sûrs en ce qui concerne la psychanalyse, Béatrice Didier achoppe et glisse sur les lieux communs qui banalisent notre discipline. C‟est ainsi qu‟elle accorde une place indue à la thématique de l‟inceste 1 et se fourvoie en rabattant l‟essentiel du travail de l‟œuvre de George Sand sur le complexe d‟Œdipe... ou de Jocaste. À témoin cette phrase symptomatique à propos du roman en question 2 :
FRANÇOIS LE CHAMPI. Ŕ Roman de l‟écrivain français George Sand (Aurore Dupin, 1804-1876), publié en livraison dans le Journal des Débats, en 1848, en volume l‟année suivante ; il forme avec La Petite Fadette et La Mare au Diable cette trilogie de romans champêtres à laquelle est surtout liée la réputation de George Sand. François, un enfant trouvé, vit à la campagne avec la vieille Zabelle, pauvre femme qui l‟a adopté pour la pension que lui vaut la garde de l‟enfant, et aussi dans l‟espoir que, plus tard, il travaillera pour elle. L‟enfant grandit, beau et gentil, et il est protégé par Madeleine, la jeune meunière, qui concentre sur François toute son affection, tyrannisée qu‟elle est chez elle par sa belle-mère et son vieux mari. Le meunier a une maîtresse, la méchante Sévère. À quelque temps de là, cette dernière fait vainement des avances à l‟enfant trouvé qui est devenu un bel adolescent ; par vengeance, elle conseille au meunier de chasser le jeune homme, sous prétexte qu‟il s‟entend trop bien avec Madeleine. François apprend de la bouche de son amie les décisions et l‟antipathie du meunier (Madeleine se garde pourtant de lui communiquer les indignes soupçons dont ils sont tous les deux l‟objet) ; il quitte alors le moulin et va travailler ailleurs. L‟affection profonde qu‟il garde pour Madeleine à qui il demeure fidèle donne un caractère de pureté presque religieux aux quelques années qu‟il passe alors. Après la mort du meunier, il revient pourtant au vieux moulin, où il retrouve Madeleine.
Nous sommes dans l‟univers mythique de la faute tragique et de la rencontre d‟Œdipe et de Jocaste.
On voit par là que le point de vue adopté par B. Didier se confond avec celui de Laznik. En adoptant ce point de vue-là on rate justement ce qui fait l‟objet de mon propos, à savoir la folie de la maternité amoureuse en tant que déroute du désir féminin et en tant que pratique sexuelle perverse à consommation non-phallique. Plutôt que de suivre l‟argumentation de Béatrice Didier, il me paraît préférable de suivre On trouvera une déconstructions des lieux communs sur l‟inceste in AZAR (2003a) : « L‟inceste est-il concevable ? ». 2 DIDIER (1981), L’Écriture-femme, p. 149. 1
39
même savoir de la vérité, ce qui prouve envers moi un grand besoin d‟ingratitude, et envers elle un engouement bizarre... Je présume que, pour le retourner ainsi, elle aura exploité son caractère jaloux et soupçonneux et que c‟est d‟elle et de son mari, qu‟est venue cette absurde calomnie d‟un amour de ma part ou d‟une amitié exclusive pour le jeune homme dont on vous parle (Borie). » À la fin de l‟année 1847, quand elle envoie le manuscrit de François le Champi à son éditeur, George Sand n‟entretient pas avec Victor Borie une amitié exclusive, encore moins un amour, mais il est bien vrai qu‟elle a conçu, inconsciemment peut-être, une sorte de liaison rêvée. Avant que celle-ci ne devint réelle, elle l‟a imaginée. Solange Sand avait-elle deviné juste ? Pourquoi pas ? Trois ans plus tard, en effet, sa mère allait céder au charme du jeune Borie. Nous ne l‟aurions sans doute jamais su, tant cette amitié amoureuse fut discrète, si George Sand ne s‟en était ouverte à son éditeur-ami Hetzel, dans une lettre...
celle que Maurice Toesca déploie dans sa préface de 1983 à la réédition de François le champi en Livre de Poche, et où il tire le meilleur parti du travail préalable effectué par Béatrice Didier. Notons d‟abord que l‟arrière-plan personnel du roman est constitué par la propension de la romancière à être toujours attirée par des amants un peu plus jeunes et un peu « délicats ». Écoutons Maurice Toesca (pp. 10-11) : François le Champi est, en définitive, un roman d‟amour, ou mieux, devrai-je dire, un rêve d‟amour. Celui de George Sand elle-même, et qui est resté un rêve toute sa vie. Le champi doit avoir une douzaine d‟années de moins que Madeleine. À la fin de l‟histoire, il a vingt ans. Or, que constatons-nous dans la vie réelle de George Sand, si nous considérons ses amants ? Jules Sandeau a sept ans de moins qu‟elle. Comme Madeleine pour François, elle tremble de tout son cœur dès qu‟il a la moindre fièvre. Alfred de Musset a six ans de moins qu‟elle ; lui aussi est un être souffreteux. Chopin, lui aussi, a six ans de moins que George Sand, et la phtisie dont il était atteint compte beaucoup dans l‟attachement que lui voua la romancière. Le compagnon préféré, dans le temps où elle compose François le Champi (automne 1847) s‟appelle Victor Borie. Il est né en 1818 : il a quatorze ans de moins que la dame de Nohant. À peu près la différence d‟âge qui existe réellement entre Madeleine Blanchet et François. Borie avait été recommandé à George Sand par Pierre Leroux lorsqu‟elle a créé un journal régional, L’Éclaireur de l’Indre. Ancien ouvrier, homme discret, il a su gagner l‟amitié de Maurice Sand. Il arrive à un moment où George Sand est obligée de défendre son fils bien-aimé contre les attaques fielleuses de sa propre sœur, Solange, qui a épousé le sculpteur Clesinger. Au dire de Solange, Victor Borie sert de paravent à Maurice pour cacher une liaison avec sa cousine, Augustine Brault. Chopin s‟est ligué avec Solange contre Maurice. Une faute que George Sand ne pouvait tolérer. Le 2 novembre 1847, elle écrit à son amie intime, Mme Marliani : « Chopin a pris ouvertement parti pour elle (Solange) contre moi, et sans
En 1847, alors qu‟elle rédigeait François le champi, George Sand est quadragénaire. Toesca ne semble pas y accorder trop d‟importance. En 1850, quand elle prend Borie pour amant, elle a quarante-six ans et lui trente-deux. Soudain, l‟écart d‟âge avec ses amants s‟est creusé. Il était de six ou sept ans, il passe à quatorze. Il lui aura fallu trois ans pour s‟y décider. Ce n‟est donc pas un « acte manqué », ou ce que nous appelons dans notre jargon un « passage à l‟acte ». Le caractère de soudaineté y manque. Sand a réfléchi, elle a lutté. Contrairement à ce que pense Toesca, il me semble que George Sand avait dû attendre de l‟écriture de François le champi une sorte d‟exorcisme. Je pense aussi que l‟échec de cette abréaction ne suffit pas pour justifier sa décision. Je fais l‟hypothèse que Sand a dû nourrir ses méditations de la relecture de Béatrix et du souvenir de ses entretiens avec Balzac qui l‟avait si bien devinée, Ŕ puisqu‟elle persiste et signe. Dans deux études précédentes (AZAR, 2004d et 2004e) j‟ai illustré l‟idée que, dans l‟esthétique 40
différentielle des sexes, la féminité est inféodée à la formule de Lacan suivant quoi « un signifiant (S2) c’est ce qui représente le sujet pour un autre signifiant (S1) », Ŕ ces deux signifiants (S1 et S2) étant en l‟occurrence des œuvres d‟art. Il me semble que cette thèse est à nouveau vérifiée pour George Sand. La première œuvre d‟art est ici le roman de Balzac, Béatrix, et plus spécialement le personnage de Mlle des Touches ; la seconde est François le champi, et plus spécialement le personnage de Madeleine Blanchet. On remarquera toutefois que George Sand fabrique elle-même le signifiant désigné par (S2) dans l‟algèbre lacanienne, au lieu de compter sur un autre artiste. Le mystère de l’écriture-femme qui a fait couler beaucoup d‟encre Ŕ y compris celle de mon encrier 1 Ŕ en reçoit un nouvel éclairage. George Sand use de l‟écriture en « self-service », suivant la catégorie que j‟ai récemment proposée. Elle m‟avait servi à décrire la fabrication du narcissisme secondaire à partir de l‟autoérotisme destiné au second compartiment du Moi·Idéal 2.
En résumé
9
Je me résume. La typologie féminine de Balzac semble polarisée. Au premier pôle, le pôle négatif, nous avons une série de « femmes fatales » qu‟il détestait : les Fœdora, les Béatrix, etc. Au pôle opposé, celles qu‟il sympathisait parce qu‟elles s‟adonnaient à la « folie de la maternité amoureuse » : les Félicité des Touches, les comtesse de Mortsauf, etc. Dans les deux cas il nous en a laissé de brillants portraits exécutés de main de maître. Des portraits que nous pouvons verser avec fierté et reconnaissance au crédit de la psychologie clinique que nous pratiquons. Il y a plus. Avant l‟invention du dispositif freudien au décours du siècle, Balzac a pratiqué notre métier à la fois d‟une manière sauvage et inspirée en inventant son propre dispositif d‟écriture. C‟est ainsi que j‟ai cherché à comprendre sa relation à George Sand dans son agencement et ses effets, à travers les voies de la création, au cours de la rédaction de Béatrix et même à titre posthume.
AZAR (2000b), « Le destin exemplaire de Louise Colet, une femme de lettres tout à fait ordinaire », en particulier I§3 et IV§12. 2 AZAR (2004f), « Le degré zéro du développement libidinal ». 1
41
ﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋﻋ
e-mail :
[email protected]
’Ashtaroût Cahier hors-série n° 6 (décembre 2005) ~ Matriochkas & autres Lolitas / L’Eternel féminin, pp. 42-57 ISSN 1727-2009
Amine Azar
La Sexualité féminine réduite à quelques axiomes 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8.
Une approche nouvelle de la sexualité féminine Le souci du lendemain → ou l’Attente anxieuse Le syndrome du fil à la patte → ou le Réconfort Du superlatif à l‟absolu → ou l’Unique Seule entre toutes les femmes → ou l’Élection C‟est toujours la première fois → ou la Virginité La génitalité d‟apparat → ou l’Excentration Ce qu‟il en coûte → ou la Déhiscence
Naguère je m‟étais consacré à dresser une « sémiothèque » de l‟hystérie à partir d‟un certain nombre de motifs et de leur agencement 1. J‟ai dénommé « syndromes dialogiques » les unités de base entrant dans la constitution de cette sémiothèque, Ŕ étant entendu qu‟un syndrome dialogique est une formation discursive présentant sous une forme canonique un agencement de motifs narratifs. Cette inspiration de type structuraliste me guidera dans l‟investigation de la sexualité féminine. À cet égard, il m‟a semblé possible de réduire la sexualité féminine à un certain nombre d‟axiomes et à quelques lemmes, Ŕ en vérité à un petit nombre qui ne dépasse pas de trop la demidouzaine. J‟en ferai un exposé détaillé, au cours duquel j‟essayerai chaque fois d‟indiquer le biais par lequel la déroute du désir peut se produire, et plus particulièrement ceux qui mènent à la folie de la maternité amoureuse. Je m‟attarderai cependant aux axiomes où j‟aurais à présenter un matériel inédit.
● Hors-Texte : Le triptyque de l’amour synonyme
1
Une approche nouvelle de la sexualité féminine
Au point où nous en sommes parvenus dans nos investigations sur la folie de la maternité amoureuse en tant que déroute du désir féminin, il me semble expédient de marquer une pause pour réfléchir sur ce qu‟est essentiellement la sexualité féminine. À mon avis, la déroute du désir devrait être considérée comme une issue morbide pour un agencement qui comporte en luimême des germes d‟obnubilation ou de conflit. J‟ai dit agencement, j‟aurais pu dire disposition. Ce que je veux surtout éviter de dire c‟est processus. En effet, je souhaite insister d‟emblée sur le fait que mon approche de la sexualité féminine rompt avec les approches courantes. Les psychanalystes qui se sont occupés de ce problème l‟ont abordé principalement sous l‟angle du processus de développement. Il me semble que cette approche a déjà livré ses meilleurs fruits. En tout cas je n‟ai rien à y ajouter. Pour ma part je procède autrement, en collant au plus près à ce que nous livre la pratique clinique, et elle seule.
2
Le souci du lendemain, → ou l’Attente Anxieuse
La première conférence de ce cycle s‟intitulait : Que veut la femme ? Ŕ J‟y renvoie 2. Je l‟avais présentée comme un hors-d’œuvre. Je ne voulais pas étaler mes cartes d‟emblée, tout en subvertissant un célèbre énoncé de Freud. Comme on le sait, ses disciples s‟en étaient trouvés
AZAR (2000c), « La sémiothèque de l‟hystérie », voir en particulier I§2 et III§14. Les questions de méthode sont longuement discutées dans ce texte. 2 AZAR (2004g), « Que veut la femme ? Ŕ À propos de la phénoménologie de l‟attente ». 1
42
encombrés, et l‟ont galvaudé ne sachant pas trop quoi en faire. Plutôt qu‟un hors-d‟œuvre on aura maintenant compris qu‟il s‟agissait d‟un échantillon de ma démarche actuelle. Dans les discussions tenues en marge de ces conférences il m‟a été rapporté qu‟on a parfois ironisé à propos de ce questionnement freudien : Que veut la femme ? Ŕ Et l‟homme, donc !, répliquait-on. Ce que veut un homme ne présente pourtant aucun mystère : manger, baiser, dormir. Après l‟amour il retombe comme une masse et s‟endort du sommeil du juste. Le lendemain est un autre jour, et seule sa bonne humeur le trahit éventuellement. La femme en revanche ne s‟endort pas tout de suite, et le lendemain elle éprouve ce sentiment auquel je me suis longuement arrêté et que j‟ai dénommé une attente anxieuse. Une attente de quoi ? La liste qu‟on peut en faire est longue, et j‟ai dit qu‟il serait abusif de réduire à un dénominateur commun la variété des réponses obtenues. J‟avais conclu qu‟il fallait s‟arrêter à l‟attente anxieuse, sans chercher à lui ajouter prématurément un complément d‟objet. Il n‟en est plus de même quand un certain laps de temps s‟est écoulé. La qualité de cette attente anxieuse se modifie avec le temps. Vague ou polymorphe au début, l‟attente anxieuse se polarise, se fige et se fixe. Par exemple, avant même l‟échéance, la femme s‟inquiète du retard de ses règles. Parfois même elle s‟affole... et se trahit. On observe que c‟est surtout sous forme de « dénégation » 1 que le désir d‟enfant l‟obsède. Le comble de la dénégation est, à cet égard, cette attente vainement anxieuse de l‟échéance chez celles qui n‟ont eu aucun rapport sexuel dans l‟intervalle. Cet aveu, quand il n‟est pas revêtu du
costume chatoyant de l‟humour, s‟accompagne d‟un malaise qui procède du sentiment de l‟insolite Ŕ en allemand Unheimliche 2 Ŕ que la femme est surprise d‟éprouver. Au retour d‟âge, la dénégation se manifeste avec l‟insistance que l‟on sait chez celles qui réclament à la cessation des menstrues un traitement hormonal séquentiel (en abrégé THS). Les saignements de privation que ce traitement induit sont dénommés avec obstination des règles non seulement par les sujets qui les réclament mais également par les gynécologues qui les prescrivent 3. Le corps médical, non sans de bonnes raisons Ŕ qu‟il nous est difficile de trouver excellentes Ŕ , en est complice. Ainsi, l‟attente anxieuse du désir d‟enfant est-elle reconduite sous prescription médicale après la ménopause. Il y a là, pour ces femmes, une obnubilation de la conscience qui se prête à l‟occasion à une déroute du désir. Il serait légitime de s‟interroger sur le soubassement métapychologique de cette phénoménologie de l‟attente. Dans une étude célèbre sur les transpositions de pulsions, en particulier dans l‟érotisme anal, Freud (1917c) a montré qu‟une équation symbolique était agissante dans l‟inconscient féminin pour convoyer son désir à travers certaines figures, telles que : Fèces Cadeau Pénis Enfant Il est revenu sur cette question dans un texte ultime jeté sur le papier le 3 août 1938 4. En voici la teneur : L‟ultime fondement de toutes les inhibitions intellectuelles et des inhibitions au travail semble être l‟inhibition de l‟onanisme infantile. Mais peut-être Cf. l‟étude de FREUD (1919h), « Das Unheimliche » [L‟insolite], que j‟ai longuement commentée in AZAR (1996). 3 Cf. LAZNIK (2003), L’Impensable désir : féminité & sexualité à la ménaopause, pp. 28-29. Au passage, on aura compris que cet impensable désir n‟est autre que le désir d‟enfant. 4 FREUD (1941f), « Résultats, idées, problèmes », trad. franç. p. 287. Rappelons que Freud est mort le 23 septembre 1939. 2
Dans son étude sur la « Verneinung », Freud (1925h) joue sur l‟ambiguïté que ce vocable de la langue allemande permet entre la négation comme simple opérateur logique, et la dénégation qui traduit la marque de l‟énonciation dans un énoncé, et réserve ainsi la place d‟un sujet psychologique. 1
43
cela va-t-il plus loin : non pas son inhibition par des influences extérieures, mais sa nature insatisfaisante en soi. Il manque toujours quelque chose pour que la décharge et la satisfaction soient complètes Ŕ en attendant toujours quelque chose qui ne venait point Ŕ et cette part manquante, la réaction de l‟orgasme, se manifeste en équivalents dans d‟autres domaines, absences, accès de rire, de pleurs (Xy), et peut-être autre chose. La sexualité infantile a encore une fois ici fixé un prototype.
que de la névrose obsessionnelle offre un autre cas de figure dans sa spécificité féminine. L‟un des traits remarquables de la névrose obsessionnelle est de se conformer à l‟impératif catégorique qui énonce ceci : Passe ton temps à gagner du temps... quitte à en perdre la vie. La première partie de cet impératif est généralement consciente, l‟autre inconsciente. Mais les hommes et les femmes n‟y réagissent pas de la même manière. Voici une réaction typiquement féminine. Cette analysante est une femme active. Elle se lève tôt et s‟affaire. Elle fait mille choses dans sa journée, qu‟elle a organisée dans sa tête la veille dans le plus grand détail. Elle manque toujours de temps. Elle est toujours à courir à droite et à gauche. Il faut achever les tâches, soit une à une, soit en même temps. Ne rien laisser traîner. Quand la journée se termine, elle est recrue de fatigue. À peine a-t-elle organisé dans sa tête sa journée du lendemain qu‟elle s‟endort comme une masse. Jusque là, sa conduite ne se distingue guère de celle d‟un homme. Mais lui, il s‟endort satisfait, et du sommeil du juste ; elle, elle s‟endort insatisfaite. C‟est qu‟elle s‟est affairée toute la sainte journée pour avoir bientôt fini. C‟est qu‟après avoir fini elle s‟attend que quelque chose arrive, et elle veut être prête et disponible pour l‟accueillir. Or, il arrive en fin de journée qu‟elle est recrue de fatigue, qu‟elle a à peine le temps d‟organiser dans sa tête la journée du lendemain et de s‟endormir... insatisfaite. Qu‟attend-elle ? Mettons les points sur les i : Cendrillon attends toujours le Prince Charmant.
À la phrase entre deux tirets mise en italiques est appendue une note des traducteurs mentionnant qu‟elle est en français dans le texte et que c‟est une réminiscence de Germinal. Ce contexte n‟est pas indifférent 1. Nous avons affaire à des préadolescents : Jeanlin a onze ans et Lydie dix, et voici la scène 2 : ... il l‟avait empoignée en riant, il se roulait avec elle sur le terri. C‟était sa petite femme, ils essayaient ensemble, dans les coins noirs, l‟amour qu‟ils entendaient et qu‟ils voyaient chez eux, derrière les cloisons, par les fentes des portes. Ils savaient tout, mais ils ne pouvaient guère, trop jeunes, tâtonnant, jouant, pendant des heures, à des jeux de petits chiens vicieux. Lui appelait ça « faire papa et maman » ; et, quand il l‟emmenait, elle galopait, elle se laissait prendre avec le tremblement délicieux de l‟instinct, souvent fâchée, mais cédant toujours dans l’attente de quelque chose qui ne venait point.
Il y a, je crois, un peu de hâte de la part de Freud à rabattre cette phénoménologie soit sur l‟onanisme infantile, soit sur l‟inhibition intellectuelle, et à faire de l‟orgasme la finalité et, pour ainsi dire, le dernier mot de la sexualité humaine. À procéder aussi hâtivement je crois qu‟on rate le précieux coefficient différentiel entre la sexualité masculine et la sexualité féminine. J‟ai mentionné plus haut comment l‟attente anxieuse pouvait dévoyer le désir à la ménopause. La clini-
3
Le syndrome du fil à la patte → ou le Réconfort
Le « syndrome du fil à la patte » a fait l‟objet d‟une étude ancienne qui remonte à 1989, reprise en 2000 avec une mise à jour. J‟y renvoie pour le détail. Ce syndrome consiste essentiellement en un tourniquet. Soit un groupe d‟adolescentes turbu-
Cf. AZAR (2000a), « Notule sur les archives secrètes de Freud », et ABI-AAD (2000), « Les affreux jojos de Germinal ». 2 ZOLA (1885), Germinal, IIe partie, chap. 5, éd. Pléiade, p. 1239. 1
44
sieurs moniteurs de ski. La monitrice, en combinaison de ski [rouge et très moulante], a les yeux bandés. À tour de rôle, les moniteurs tournent autour d‟elle et lui projettent de la crème chantilly sur le corps à l‟aide d‟une bombe qu‟ils se passent de main en main.
lentes que l‟ennui dévore pendant les vacances. L‟une d‟elles découvre un beau ténébreux avec qui elle engage des jeux de séduction. Il y a fort à parier qu‟à tour de rôle toutes voudront en tâter. Au cours de l‟adolescence, le jeu du tourniquet est une simple péripétie. Il favorise les identifications transversales et conforte chez les jeunes les vacillements intermittents du sentiment de la féminité. En revanche, lorsqu‟il perdure audelà de l‟adolescence, le jeu du tourniquet est à mettre au crédit de l‟hystérie. Le réconfort y devient en effet une assuétude. Par un autre biais il débouche sur une déroute du désir. On le constate à la fréquence du fantasme de prostitution parmi les scénarios orgastiques préférés des femmes 1. Cette fois, le tourniquet est constitué du sujet lui-même. Le fantasme de prostitution s‟organise autour de trois traits structuraux : l‟anonymat, la sujétion (forçage), et la multiplication des partenaires. Pour les exemples on n‟a que l‟embarras du choix. L‟Histoire d’O de Pauline Réage (1954) en comporte en abondance, et Robert Stoller (1979) en a donné un curieux exemple dans le rêve diurne érotique du cas « Belle » dont il a fait un livre. Je préfère citer, pour ses qualités esthétiques éminentes, un cas rapporté par le regretté Joël Dor (1987) dans son maître livre sur Structure & perversions (pp. 53-54). Le fragment cidessous appartient à l‟anamnèse d‟une jeune fille qui lui a été adressée pour de nombreuses automutilations :
Au retour d‟âge, il est curieux de constater une résurgence maligne du tourniquet du fil à la patte dans sa forme canonique. Cette résurgence constitue une déroute courante du désir féminin. Le plus curieux étant de constater, à l‟instar de mon premier axiome, une complaisance voire une complicité déplorables de la part du corps médical. C‟est ainsi qu‟un groupe de femmes jettent leur dévolu sur un médecin serviable qui entreprend à tour de rôle sur leur corps des opérations de chirurgie plastique. On a tendance à croire que le dessein des femmes qui recourent à la chirurgie plastique est de plaire à tel ou tel élu de leur cœur. Il n‟en est rien. La chirurgie plastique est une « affaire interne », réduite exclusivement à un groupe de femmes entre elles. Il s‟agit de conforter leurs identifications transversales au moyen d‟un tourniquet. Le chirurgien serviable occupe cette place, et il devient en l‟occasion une véritable coqueluche dont elles s‟entichent, qu‟elles traînent partout, dont elles assurent la réputation, etc. Deux remarques à ce propos. Le chirurgien est un véritable artiste au service de la beauté féminine. C‟est un sculpteur à même la chair. À cet égard, il remplit la place exacte du sculpteur Démétrios telle que j‟en ai montré la fonction dans le roman de Pierre Louÿs (1896), Aphrodite, mœurs antiques 2. En conséquence, chaque femme requérant ses soins manifeste ce qu‟en termes lacaniens on peut décrire comme le fading constituant de son identité de genre par rapport à une autre femme. Autre remarque. Il me paraît que la déroute du désir empruntant cette pente peut mener cer-
La scène se déroule à l‟occasion d‟un stage de ski qu‟elle effectue avec des adolescents de son âge. Un soir, elle quitte sa chambre et gagne la réception de l‟hôtel pour téléphoner. Elle n‟y trouve personne, mais en revanche, surprend des rires et des cris échappés de l‟office. Elle ne peut s‟empêcher d‟observer par le trou de la serrure et devient ainsi témoin d‟un jeu singulier organisé entre une monitrice et pluC‟est ce qui, par parenthèse, en fait des victimes désignées pour les tueurs en série.
Cf. AZAR (2004e), « Pour une esthétique différentielle des sexes d‟un point de vue psychanalytique, Ŕ Kant avec Lacan », §3.
1
2
45
taines femmes (jeunes et moins jeunes) à des pathologies fort graves, du même ordre, me semble-t-il, que le transsexualisme.
4
et elle se vit comme un animal d‟abattoir qu‟on est en train de dépecer. Seule une « aveugle dévotion » peut agréer à l‟Unique.
Du superlatif à l’absolu → ou l’Unique
Mon troisième axiome oppose le point de vue masculin au point de vue féminin, comme le superlatif à l‟absolu. Le superlatif plaît aux hommes. Les poètes Arabes s‟étaient même fait une spécialité du panégyrique. Abou t-Tayyib alMoutanabbi (qui a fleuri au Xe siècle) est célèbre entre autres par les éloges hyperboliques qu‟il s‟est décernés à lui-même. Les hommes sont de friands consommateurs de dithyrambes. En revanche, le superlatif n‟est que viande creuse pour les femmes. Une femme veut être incomparable, Ŕ au pied de la lettre. Les femmes réclament de l‟absolu, car l‟absolu est seul à garantir à leurs yeux l‟amour électif et le fait d‟être l’Unique. Voici une vignette où cet axiome vire à la passion. Cette jeune femme se plaint constamment de son ami. C‟est un sadique, Ŕ elle aime le présenter ainsi à ses amies. Elle ne tarit pas sur son compte. Quand il est en visite chez elle, elle s‟étend sur un divan après avoir placé son fauteuil à angle droit. Il enlève alors ses lunettes, les pose sur la commode et regarde au loin, ailleurs. Elle s‟énerve. Pourquoi ne la regarde-t-il pas constamment ? Il est myope, et il voit donc flou de loin. Elle lui essuie les lunettes avec soin et les lui remet sur le nez : « Hé ! je suis là ! », et elle tape dans les mains. Mais lui Ŕ décidément sadique Ŕ il enlève ses lunettes derechef, et le même manège reprend. Autre doléance à propos d‟un autre trait de sadisme caractérisé. Rien ne la met hors d‟elle comme lorsqu‟il a le mauvais goût de chanter ses beautés. Dans ces moments-là elle le hait carrément. Il lui dit, par exemple, qu‟il adore ses avant-bras et ses joues, qu‟il aime son âme, etc.,
5
Seule entre toutes les femmes, → ou l’Élection
Le quatrième axiome est celui de l’Élection. Il s‟énonce : seule entre toutes les femmes. En anglais c‟est encore plus expressif : alone of all her sex. C‟est là justement le titre original et celui de la traduction française de l‟ouvrage de Marina Warner publié en 1976 et consacré au mythe et au culte de la Vierge Marie. La littérature « mariologique » est si abondante que seuls les spécialistes peuvent la maîtriser. Il est donc heureux que l‟ouvrage de Marina Warner existe. À la vérité, le mythème de la « naissance virginale » ou celui des « vierges-mères » étaient familiers aux premiers anthropologues 1. Mais, comme le déplore Edmund Leach (1966), une certaine timidité les avait empêchés de mettre en relation ces mythèmes avec la littérature mariologique. C‟est aussi le reproche qu‟on pourrait formuler envers Marina Warner. C‟est, à mon avis, avec un peu trop de hâte qu‟elle accentue les différences entre la littérature mariologique et les mythèmes séculaires, et tranche brutalement le cordon idéologique qui les relie 2. À cet égard tout est à refaire du point de vue qui est le nôtre, qui consiste à éclairer le matériel anthropologique tout comme la littérature mariologique par notre expérience clinique. Mais ce n‟est pas ici le lieu de le faire. Il nous suffira d‟éclairer pour l‟instant notre axiome de l’Élection par les deux lemmes sur
En voici quelques références célèbres : FRAZER (1905), HARTLAND (1894-1896 et 1909-1910), BRIFFAULT (1927), PLOSS & BARTELS (1927), CRAWLEY (1927), etc. 2 WARNER (1976), Alone of all her sex, pp. 45-49, trad. franç. 1
pp. 56-59. 46
lesquels il repose : (a) cette femme-là est choisie (par Dieu ou par le conjoint) seule entre toutes les femmes, et (b) elle est choisie pour donner naissance à un enfant merveilleux (à un Messie). Cette double élection confère à cette femme un caractère d‟Exception sur lequel j‟aimerais attirer l‟attention, voici pourquoi : La doctrine lacanienne 1 énonce que « La Femme » n‟existe pas parce que les femmes, contrairement aux hommes, ne forment pas un ensemble. Suivant cette doctrine les hommes forment un ensemble pour deux raisons : (a) parce qu‟ils sont tous soumis à la castration, et ce qui le prouve, c‟est (b) qu‟il en existe au moins un qui fait exception, nommément le père de la Horde 2. On a là une illustration de l‟usage ludique que faisait Lacan du discours courant, qu‟il proposait d‟écrire : disque-ourcourant. Ici il s‟agit de ce qu‟édicte la grammaire scolaire : que l‟exception confirme la règle. Essayons de prendre au sérieux ce jeu ludique. Prenons le mathème de Lacan au pied de la lettre. Procédons suivant le dicton arabe bien connu : suivons le menteur jusqu’au seuil de sa porte.
6
C’est toujours la première fois, → ou la Virginité
Le cinquième axiome est celui de la Virginité. Pour une femme la première fois n‟est pas quelque chose qui ne survient qu‟une seule fois. C‟est à chaque fois que c‟est toujours la première fois. Cet axiome se manifeste concrètement de plusieurs façons. En voici quelques unes : 1/ Je passe rapidement sur un fait d‟observation courante : les mères de famille qui font leurs emplettes ont une prédilection superstitieuse pour les primeurs... 2/ Ce cinquième axiome se réclame tout d‟abord de l‟idée de rachat par l’amour, que j‟ai présentée naguère en détail comme un élément de la sémiothèque de l‟hystérie sous le titre de « palingénésie amoureuse ». Je m‟étais appuyé (après Freud) sur le drame de Victor Hugo (1831), Marion de Lorme. Je me permets d‟y renvoyer 3. 3/ Il se réclame ensuite de la « parade virginale » que j‟ai également présentée comme élément de la sémiothèque de l‟hystérie. Je m‟étais appuyé entre autres sur deux romans de Pierre Louÿs, Aphrodite (1896), et La Femme & le pantin (1898). Je me contente encore d‟y renvoyer 4. Le « rachat par amour » comme la « parade virginale » sont susceptibles de revenir en force au retour d‟âge comme déroute du désir.
Ilħaqou el-kazzāba ila bābi bayytihi ~ِ ﺍﻮﻗﺣﻠﺇ ﺐﺍﺯﻜﻟﺍَ ﻰﻠﺇ ﺏﺎﺒِ ﻪﺗﻳﺒ
Il me semble qu‟au regard de notre quatrième axiome, le mathème de Lacan révèle son inanité. L‟exception qui confirme la règle s‟applique aux femmes tout comme on prétend qu‟elle s‟applique aux hommes. Mais alors comment se fait-il que Lacan, si féru de théologie catholique, ait scotomisé toute la littérature mariologique ? Pour vous amuser, j‟irais d‟une interprétation sauvage ad hominem. Jacques Lacan a scotomisé la Vierge Marie pour les mêmes raisons personnelles qui l‟ont amené à évincer la seconde moitié de son prénom. Ŕ Il s‟appelait « Jacques-Marie » !
4/ Notre cinquième axiome se réclame encore de l‟idée de virgo intacta post coïtum. La mariologie a beau jeu de s‟appuyer ici sur la lettre des Évangiles où le mystère de la conception du Christ est confié à une « opération » du Saint-Esprit. Une « opération » qui a donné bien des fils à retordre aux jeunes catéchumènes que nous avons été. 5/ Il se réclame en plus de l‟idée de : virgo intacta post partum. La mariologie en rend compte en
On en trouvera un exposé (sibyllin comme à l‟accoutumé) dans le Séminaire XX : Encore (1972-1973). 2 Référence est faite au mythème confectionné par FREUD (1912-1913), in Totem & tabou, 4e essai, §§ 4 & 5. 1
3 4
47
AZAR (2000c), « La sémiothèque de l‟hystérie », II§7. AZAR (2000c), « La sémiothèque de l‟hystérie », II§8.
deux aventures ! Sa seule culpabilité a été de choisir, dans une existence où l‟art tenait la plus grande place, la société des artistes, et d‟avoir préféré la morale masculine à la morale féminine. Ŕ Et je me hâte de vous confesser, ma Juliette, que, pour une femme, c‟est une infériorité que se déféminiser. Retenez bien ceci, vous qui vivez entourée d‟hommes comme je l‟ai été, qui êtes aimée et sans doute adorée par beaucoup d‟entre eux, parmi les premiers de votre temps, retenez bien ceci : lorsqu‟un homme est supérieur, il est pour la femme exceptionnelle un ami enviable ; il est le même amant pour toutes les femmes, et souvent le plus parfait pour la femme la plus vile et la plus bête. J‟ai l‟expérience de l‟amour, des amours, hélas ! bien complète. Si j’avais à recommencer ma vie, je serais chaste ! »
soutenant que les frères de Jésus mentionnés dans les Évangiles ne sont pas ses frères par la chair. Ce sont plutôt des demi-frères issus d‟un premier lit, ou des cousins. Ce que Freud (1909c) a dénommé le « roman familial du névrosé » appartient à la même souche. 6/ Il se réclame en outre du un à un, dont on trouve une excellente illustration chez George Sand quand on blâma sa conduite dans l‟affaire de Venise. On lui fit honte de débuter une « affaire » avec le Dr Pagello venu soigner Musset, tandis que ce dernier était cloué sur son lit de douleur dans la chambre d‟à côté. Maurois (1952) nous explique ainsi ce petit mystère 1 : Elle était de bonne foi, car sa morale (et chaque être se fait une morale), c‟était que toute passion est sainte, sous réserve qu‟il ne faut pas appartenir en même temps à plusieurs hommes. Musset l‟ayant abandonnée en tant que maîtresse, elle se tenait pour libre.
On ne saurait rêver de document plus explicite. Au moment où George Sand prétend réclamer le droit d‟être jugée en homme pour sa loyauté amoureuse, c‟est en réalité un trait fondamental de la psychologie féminine qu‟elle nous dévoile. La phrase finale, soulignée dans le texte, révèle de plus que le « un à un » (du registre conscient) équivaut exactement à « chasteté » (dans le registre inconscient). Aimer un seul équivaut pour une femme à rester virgo intacta. Deux remarques pourraient trouver ici leur place. En premier lieu cette notation finale sur la chasteté restitue le lien méconnu qui relie le culte de la Vierge Marie à celui d‟Athéna Parthénos. Dans une étude curieuse, dont il faut suivre les méandres avec beaucoup d‟attention, Nicole Loraux (1982) a bien mis en relief que le corps de la Parthénos est interdit. Je me contente d‟y renvoyer. La deuxième remarque se rapporte à l‟intuition profonde de Otto Fenichel (1930 & 1936) à propos de l‟équation « GIRL = PHALLUS », à laquelle je me contente également de renvoyer. Nous pourrions ultérieurement consacrer à ce point de doctrine tout un cycle que je pense introduire par une traduction de l‟étude princeps de Fenichel. Nous aurons également à recourir aux
Est-ce casuistique ? sophisme ? Suivons l‟argumentation de George Sand. Vers la fin de sa vie, elle avait élu Juliette Adam comme « fille » et se confiait à elle librement. L‟affaire de Venise lui revenait en mémoire comme une écharde, et elle tenait tant d‟années après à s‟en expliquer encore, voici comment 2 : Un autre jour, après avoir expliqué à Juliette, pour la centième fois, que Musset avait été « la meilleure action de sa vie » et qu‟elle n‟avait eu « d‟autre pensée que de le sauver de lui-même », elle supplia sa « fille choisie », si jamais l‟on accusait devant elle George Sand de déloyauté, de répondre ceci : « George Sand, si elle a perdu le droit d‟être jugée en femme, a conservé celui d‟être jugée en homme, et, en amour, elle a été le plus loyal d‟entre vous. Elle n‟a trompé personne, n‟a jamais eu à la fois MAUROIS (1952), Lélia ou la vie de George Sand, pp. 198-199. MAUROIS (1952), Lélia ou la vie de George Sand, p. 493. Dans ce qui suit Maurois cite le témoignage de Juliette Adam d‟après ce que cette dernière en a elle-même publié. 1
2
48
grand secret de son sexe, et elle frappa Tirésias de cécité. Zeus, en dédommagement, lui accorda le don de prophétie et le privilège de vivre longtemps (sept générations humaines, dit-on). (p. 459)
livres de Leonard J. Friedman (1962), de J.-P. Bardet & alii (1981), et de Giulia Sissa (1987).
7
Comment ne pas mettre en rapport le premier épisode de cette histoire avec le matériel que la clinique nous apporte à profusion au sujet des fantasmes dits originaires ? L‟un de ces fantasmes, celui qui a reçu la dénomination de « scène primitive », nous livre des séquences qui correspondent jusque dans les détails avec le récit qu‟on vient de lire. Il n‟est d‟ailleurs que de se reporter au cas princeps de l‟homme-aux-loups où Freud (1918b) a révélé pour la première fois l‟existence de ce fantasme, et l‟a mis en relation avec la notion d‟après-coup, avec la conception sadique du coït, et avec le complexe de castration. Les caractéristiques de la « scène primitive » tels que la clinique les révèle avec une constante régularité sont en effet en petit nombre. Il s‟agit d‟un rapport sexuel more ferrarum, autrement dit à la manière des bêtes sauvages. La position des partenaires est particulière, c‟est un coïtus a tergo : la femme est assaillie par derrière. En outre, la scène est comprise de façon dramatique. L‟homme fait mal à la femme : c‟est la conception sadique du coït. Le petit voyeur, tour à tour identifié à la position active (celle de l‟homme) et à la position passive (celle de la femme), en est troublé, et finit par intervenir pour déranger les protagonistes en pleine action. En général il intervient par une émission de selles ou d‟urines, et reçoit la plupart du temps une punition. Plus tard, lorsque le développement intellectuel de l‟enfant aura fait des progrès, une compréhension moins approximative de la scène vient à sa portée. La légende de Tirésias combine admirablement tous ces ingrédients selon le processus primaire, c‟est-à-dire soit par identification, soit par condensation, soit par déplacement. Et en prime, nous avons cette révélation tonitruante
La génitalité d’apparat, → ou l’Excentration
Le sixième axiome est celui de l’Excentration. Il s‟énonce d‟un : il ne faut pas conclure. Là, il faut partir de la nature de la sexualité féminine qui n‟est pas toute gouvernée par le primat du phallus. L‟antiquité s‟est posée ce problème et lui a cherché une solution uniquement sur le plan quantitatif. C‟est ce qu‟on peut déduire des tribulations de Tirésias tiraillé entre les dieux et les déesses de l‟Olympe. J‟emprunte à Pierre Grimal (1951) une partie de la rubrique qu‟il consacre à Tirésias dans son Dictionnaire de la mythologie grecque & romaine :
Il existait diverses légendes sur la jeunesse de Tirésias et la façon dont il avait acquis son talent de devin. On racontait, d‟une part, qu‟il avait été aveuglé par Pallas, parce qu‟il avait, par accident, vu la déesse toute nue. Mais, à la demande de Chariclo, Pallas, pour le dédommager, lui avait accordé le don de prophétie. La version la plus célèbre est notablement différente. Un jour qu‟il se promenait sur le mont Cyllène (ou encore sur le Cythéron), le jeune Tirésias vit deux serpents en train de s‟accoupler. À ce point, les auteurs ne s‟accordent pas : ou bien Tirésias sépara les serpents, ou bien il les blessa, ou bien il tua le serpent femelle. Quoi qu‟il en soit, le résultat de son intervention fut qu‟il devint lui-même une femme. Sept ans après, se promenant au même endroit, il revit des serpents accouplés. Il intervint de la même façon, et reprit son sexe primitif. Sa mésaventure l‟avait rendu célèbre et, un jour que Zeus et Héra se querellaient pour savoir qui, de l‟homme et de la femme, éprouvait le plus grand plaisir dans l‟amour ils eurent l‟idée de consulter Tirésias, qui, seul, avait fait la double expérience. Tirésias, sans hésiter, assura que, si la jouissance d‟amour se composait de dix parties, la femme en avait neuf, et l‟homme une seule. Cela mit Héra fort en colère, de voir ainsi révélé le 49
sur la sexualité féminine, qui nous intéresse à présent, suivant quoi : si la jouissance sexuelle comportait dix parties, neuf en reviendraient à la femme et une seule à l‟homme. Cette révélation ne s‟est pas perdue au cours du temps, mais si les hommes en général en sont oublieux, quelques uns s‟en montrent affectés. Le président Schreber est de ces derniers. Il en a fait même son affaire personnelle. On sait d‟ailleurs que sa maladie des nerfs s‟est soudain aggravée au cours de l‟été de 1893 lorsqu‟un beau matin il eut à son réveil une singulière idée :
Ce texte publié en 1903 est resté lettre morte jusqu‟à aujourd‟hui faute d‟avoir trouvé un bon lecteur. En progrès par rapport au premier Tirésias, Schreber a parfaitement compris que la sexualité masculine est entièrement sous le primat du phallus, tandis que la sexualité féminine ne se range pas toute sous le primat phallique. Nous avons fini aujourd‟hui par le savoir par un curieux détour. C‟est par le biais du narcissisme que ce problème a été redécouvert. En 1964 Béla Grunberger contribua à un ouvrage collectif sur la sexualité féminine 3 par une étude sur le narcissisme féminin. En deux endroits il en vint à caractériser la sexualité féminine par sa « concentricité ». Voici le premier 4 :
Un jour, cependant, un matin, encore au lit (je ne sais plus si je dormais encore à moitié ou si j‟étais réveillé), j‟eus une sensation qui, à y repenser une fois tout à fait éveillé, me troubla de la façon la plus étrange. C‟était l‟idée que, tout de même ce doit être une chose singulièrement belle que d‟être une femme en train de subir l‟accouplement. 1
Nous avons dit que l‟unicité était le propre du narcissisme et, en effet, ce qui caractérise l‟investissement libidinal de la femme c‟est son caractère concentrique dont elle reste toujours le centre, ce centre étant en même temps le phallus également unique par essence.
Par la suite, une métamorphose eut lieu chez Schreber à même la constitution de son corps. En mars 1900 il était absolument convaincu qu‟un examen de son anatomie mettrait en évidence les marques indubitables de la féminité. À cet effet, il rédigea en date du 24 mars une remontrance à l‟adresse de l‟administration de l‟asile où il se trouvait interné, disant ceci :
Et voici le second, un peu plus explicite 5 : La femme est avant tout narcissique et nous savons que la devise du narcissisme est « tout ou rien » car la perfection ne peut être dosée, rationnée, elle existe ou n‟existe pas. La femme investit son Moi. Cet investissement se répand, nous l‟avons dit, concentriquement (comme les ronds qui se forment autour d‟un caillou qu‟on a lancé dans l‟eau), ayant toujours elle-même pour centre, c‟est-à-dire son amour à elle et l‟amour en général qui reçoit tout son investissement et dont elle voudrait qu‟il soit investi en miroir en quelque sorte, par son partenaire également. La femme vit dans et par l‟amour et ayant été privée au départ Ŕ comme nous l‟avons vu Ŕ d‟une confirmation narcissique adéquate, projettera
Je me tiens prêt à tout moment à soumettre mon corps à tout examen médical que ce soit, pour que puisse être vérifié si mes allégations sont exactes, selon lesquelles mon corps tout entier est parcouru des pieds à la tête de nerfs de la volupté, comme cela ne se rencontre que s‟agissant d‟un corps de femme adulte, alors que chez l‟homme Ŕ que je sache Ŕ les nerfs de la volupté sont uniquement localisés à une zone circonscrite au sexe et à son voisinage immédiat. 2
Nouveau Tirésias, Schreber sait parfaitement de quoi il parle, et il l‟écrit noir sur blanc.
CHASSEGUET-SMIRGEL, Recherches psychanalytiques nouvelles sur la sexualité féminine, Paris, Payot, 1964. Réédité en 1975 dans la Petite Bibliothèque Payot avec une pagination différente. 4 GRUNBERGER (1964), « Jalons pour l‟étude du narcissisme dans la sexualité féminine », p. 103, rééd. p. 114-115. 5 GRUNBERGER (1964), Idem, p. 108, rééd. p. 120. 3
SCHREBER (1903), Mémoires d’un malade des nerfs, chap. 4, éd. allemande p. 38, trad. franç. p. 46. 2 SCHREBER (1903), Mémoires... chap. 21, p. 274, trad. p. 224. 1
50
son narcissisme mal intégré, non saturé, sur sa relation avec son partenaire amoureux et dans un sens, toute sa vie ne sera que l‟histoire de cette projection, de ses réussites (toujours partielles et éphémères) et de ses échecs (inévitables).
Qu‟on y apprécie ce qui d‟original se dispense “à propos”. À propos de l‟ouvrage dont cette critique fait le mérite (en le numéro de juillet de la revue Critique). Ce n‟est pas biais indigne à faire preuve du dégel qu‟un travail spécifié de notre formation apporte en le problème de la sexualité féminine : resté bloqué depuis que Jones en eut fait pièce à Freud. La plainte que je ressasse qu‟on me détourne plus souvent qu‟on me devance, est ici désarmée.
Il y aurait beaucoup à dire là-dessus. Contentons-nous de trouver dans la loi narcissique du « tout ou rien » la clé de l’Unicité et de l’Électivité abordées ci-dessus dans les axiomes trois et quatre. Notons également la maladresse du terme concentricité à propos des ronds dans l‟eau. Il aurait sans doute mieux valu parler d‟un mouvement de décentration ou d‟excentration. Quoiqu‟il en soit, il est arrivé que Michèle Montrelay, élève de Lacan, se mit en devoir de rendre compte de ce volume collectif appartenant à une école psychanalytique adverse. Son étude critique fut refusée à la fois par la revue Tel Quel (dirigée par Philippe Sollers) et par la Nouvelle Revue de Psychanalyse (dirigée par Jean-Bertrand Pontalis). Finalement c‟est la revue Critique qui la publia dans le numéro de juillet 1970, non sans difficulté, et sur l‟insistance de Michel Serre. Les malheurs de Michèle Montrelay ne se terminèrent pas là. L‟un des lieutenants de Lacan la convoqua et la tança durement 1. Quand il eut pris connaissance de l‟étude critique de Montrelay, Lacan réagit immédiatement. Dans une lettre privée, puis dans des déclarations publiques, il se félicita que quelqu‟un de son entourage l‟eût, pour une fois, devancé. Voici le texte de sa déclaration publique dans le style baroque qui lui est coutumier, et où la recension de Michèle Montrelay est citée comme un modèle du genre 2 :
Nous n‟avons pas de peine à repérer le passage de l‟étude de Montrelay qui a retenu Lacan. C‟est justement le passage où, après avoir cité l‟opinion de Grunberger (suivant quoi l‟investissement libidinal de la femme est à la fois concentrique et phallique), elle en corrige la teneur. Ce passage le voici 3 : Affirmer le caractère tout à la fois « concentrique » et phallique de la sexualité féminine, c‟est donner raison à Freud et à Jones. Mais, dès lors, ne faut-il pas formuler un point de vue nouveau par lequel se maintiendrait la vérité des deux écoles ? Dans le cadre des Recherches nouvelles, ce point de vue n‟est pas formulé. Tout se passe comme si la contradiction Jones-Freud perdait progressivement sa pertinence en regard de la clinique. Et, cependant, vérifier deux propositions incompatibles ne supprime pas pour autant la contradiction qui les lie. Rien ne prouve que le phallocentrisme et la concentricité, du simple fait qu‟ils soient également constitutifs de la sexualité féminine, se complètent harmonieusement. Nous soutiendrons, quant à nous, qu‟ils coexistent, au contraire, en tant qu‟incompatibles, et que cette incompatibilité est spécifique de l‟inconscient féminin.
La voie était ainsi ouverte aux formulations de Lacan sur le pas-toute. Ce point d‟histoire une fois éclairci, au lieu de vous entraîner dans une exégèse de textes, forcément soporifique, je voudrais plutôt vous ramener aux sources vives de notre clinique pour vous désaltérer.
C‟est ce qu‟on mesurera au parti qu‟a tiré Michèle Montrelay, analyste de l‟École (nouvelle formule), d‟un ouvrage obtenu d‟une toute autre formation. Cf. l‟entretien accordé par Michèle Montrelay à Alain DidierWeil (2001), p. 192. 2 LACAN (1970), « Liminaire » au n° 2-3 de Scilicet, pp. 5-6. Ce texte est daté de septembre 1970. 1
3
51
MONTRELAY (1970), « Recherches sur la féminité », p. 61.
Il me semble que ces trois vignettes montrent à l‟évidence que la « sexualité » pour ces femmes (autour de la trentaine) prêterait à confusion à moins d‟être comprise comme une génitalité d’apparat. Une solution de facilité serait de mettre cette génitalité d‟apparat sur le compte d‟une prétendue survivance de l‟infantilisme. On serait, je crois, mieux inspiré d‟y voir la manifestation de cette sexualité autre, par quoi les femmes échappent partiellement au primat phallique.
Considérons la toile à l‟envers. Très souvent les femmes manifestent ce que je souhaiterais dénommer une génitalité d’apparat. En voici trois exemples : Cette analysante déploie à l‟encontre de son analyste des manœuvres de séduction dont le caractère compulsif éveille son attention. Ŕ L’Analyste : Vos attitudes séductrices à mon égard me mettent la puce à l‟oreille. Je me demande si vous ne cherchez pas à me neutraliser. Auriez-vous peur de moi par hasard ? Ŕ L’Analysante : C‟est vrai, j‟ai peur de vous. Ŕ L’Analyste : Pourquoi ? Ŕ L’Analysante : J‟ai peur que vous me compreniez. Ŕ L’Analyste : Oh, là, là ! Toutes ces démonstrations de symptômes auxquels je ne comprends rien, ce serait donc de la simulation ? Ŕ L’Analysante : Non, non, ce n‟est pas vrai ! On ne fait pas attention à moi quand j‟ai des petits malaises. Je suis donc obligée d‟exagérer pour qu‟on me remarque.
Freud (1923e) a lui-même reconnu son erreur première d‟avoir postulé comme phase terminale du développement sexuel l‟établissement du primat génital qui surviendrait à la puberté, et où les pulsions partielles accèderaient à une synthèse harmonieuse. Mais il s‟est corrigé imparfaitement en postulant, durant l‟enfance et pour les deux sexes, une phase où les pulsions partielles s‟intégreraient en une première synthèse sous le primat phallique. Il a de même abusivement généralisé en considérant que l‟acte sexuel pour les adultes, hommes et femmes, se divise en deux parties, la première durant laquelle une partie des pulsions partielles polymorphes constituerait le plaisir préliminaire (Vorlust), et une seconde où elles viendraient confluer en un plaisir terminal (Endlust) orgastique. La jouissance orgastique n‟est ni une fin dernière ni une butée ; c‟est tout au plus une ponctuation. En parcourant la correspondance entre Freud et Jones une innovation lexicale de ce dernier a frappé mon attention : celle de Nachlust, Ŕ le plaisir d‟après-coup 1. Il me semble qu‟il est réducteur de se contenter de la Vorlust et de la Endlust. La Nachlust intéresse beaucoup d‟hommes et pas mal de femmes. En tout cas, le primat phallique n‟absorbe pas toute la sexualité féminine, et la division entre plaisir préliminaire et plaisir terminal est
Une autre analysante souffre d‟hystérie d‟angoisse. Elle a la phobie d‟entrer en contact avec un membre de sa famille. Elle ne peut pas partager un repas familial. Elle ne peut pas toucher un objet entré en contact avec un membre de sa famille. Il ne faut pas que le vent qui passe sur l‟un des membres de sa famille repasse sur elle. Quand elle parle avec sa mère au téléphone, il ne faut pas qu‟elle entende la voix de son père interférer, elle raccroche aussitôt. Pour couronner le tout, elle se plaint d‟éprouver une attraction sexuelle pour certains membres de sa famille. Elle est obsédée par des idées d‟inceste. Une autre analysante commence sa séance avec ce cri : « Je suis maintenant une femme ! » Est-ce qu‟elle a pu enfin se départir de sa virginité, comme elle en manifestait le cher désir depuis le début de son analyse ? Non pas. Il se révèle qu‟elle avait l‟avant-veille pratiqué une fellation sur un homosexuel farouche.
FREUD & JONES (1993), Correspondance complète, trad. franç. p. 856, lettre n° 646 de Jones à Freud datée du 2 juin 1936. 1
52
l‟analysante 2. On voudra bien se reporter au « Triptyque de l’amour synonyme » en hors-texte Ce document comporte trois parties. La première est le récit d‟un rêve récent, lequel lui rappelle un rêve antérieur (2e partie), après quoi elle a associé une rêverie faite sur le divan plusieurs années plus tôt (3e partie). « L‟amour synonyme » m‟a paru être l‟expression idoine pour aller au cœur de la question.
beaucoup moins tranchée pour les femmes que pour les hommes. Mais cela ne veut pas dire pour autant qu‟à la différence des hommes la sexualité féminine comporterait des vestiges de la sexualité infantile polymorphe, comme certains cliniciens seraient tentés de le croire 1. Rabattre sur la sexualité infantile perverse polymorphe la part de la sexualité féminine qui échappe au primat phallique serait reprendre d‟une main ce que l‟on a accordé de l‟autre. Ce serait perdre d‟un coup le bénéfice du travail clinique laborieux qui nous a conduits à distinguer la sexualité féminine de la sexualité masculine.
Ŕ Il s‟agit en effet d‟apprendre à étudier les synonymes. Or le premier synonyme se rapporte au prénom de l‟analysante. La réunion de travail vient de se terminer et l‟animateur discute avec François Bisset en présence de l‟analysante. « Bisset » indique la réitération, ou le fait de répéter deux fois ; et il se trouve justement que l‟analysante se prénomme Françoise. Ainsi les synonymes sont donc François/Françoise.
En cette connexion le vocabulaire nous dessert. On a vu plus haut la maladresse de Grunberger à parler de libido concentrique. Si l‟on peut affirmer à juste titre que la libido masculine est centripète, concentrée autour de la région génitale dans un mouvement convergent, la libido féminine serait plutôt centrifuge, périphérique, décentrée voire excentrée. Il arrive que nos analysantes y fassent allusion. Les plus puristes d‟entre elles utilisent d‟autres vocables. Souvent cette sexualité est dite floue, ou diffuse, malgré l‟exacerbation des sensations. Elle est dite également éthérée, immatérielle, pure. Elle est dite encore extatique, planante. Elle s‟oppose aux réalités prosaïques et aux pratiques sexuelles sordides où, nous dit-on, se complaisent trop souvent les hommes. Elle comporte également un aspect oblatif qui se caractérise par le don de soi et une sorte de sacrifice « rétentionnel » mis au service de l‟autre. Cet aspect oblatif n‟étant pas dépourvu d‟une aspiration de type mégalomaniaque, puisqu‟il s‟agirait Ŕ nous dit-on Ŕ de faire jouir l‟autre, de le contrôler, et cela sans perdre le contrôle de soi. Il m‟est possible de citer à l‟appui un document clinique rédigé sur mon instance par
1
Ŕ La manière « bizarre » dont les synonymes sont « mis en liaison » se réfère au rapport sexuel. Il faut ici comprendre que les deux mots se raccrochent l‟un à l‟autre en un point, comme un rivet. Et il faut aussi comprendre que c‟est ce mode d‟accrochage qui paraît « bizarre » et « incompréhensible » à l‟analysante. On verra tout à l‟heure en quoi doit consister un rapport sexuel « compréhensible ». Ŕ Le livre dont il s‟agit n‟est pas indifférent. C‟est celui de René Nelli (1952), L’Amour et les mythes du cœur. S‟il y avait eu le moindre doute sur la pertinence du titre que j‟ai choisi de donner à ce hors-texte, ce doute serait levé. Ŕ La voiture comme moyen de déplacement représente l‟acte sexuel. L‟analysante est étendue sur le siège en position couchette. Elle est décontractée et engourdie. Elle voit défiler le paysage. Des pensées contrariantes surviennent et se dissipent. Nous sommes toujours en plein déduit, et l‟échange est tendre et chaleureux.
Cf. par exemple DOR (1987), Structure & perversions, p. 265.
2
53
Je la remercie d‟en avoir autorisé la publication.
cienne, inventée un jour sur le divan dans un état de relaxation et de somnolence.
Ŕ Ce déduit est ponctué non par des contractions et des spasmes de type orgastique, mais par « un tout léger baiser sur le visage, à peine senti ». Ce baiser produit une sensation extraordinairement chaleureuse qui se propage dans tout son corps engourdi. La référence à la Belle au bois dormant est patente. D‟ailleurs l‟analysante va aussitôt se réveiller sans que son réveille-matin n‟ait sonné, puisqu‟elle avait justement oublié la veille de le remonter. Bel acte manqué. Et quoi de plus romanesque que cette transformation de la sonnerie stridente du réveille-matin en baiser du Prince charmant ! Ce rêve vérifie joliment les deux thèses de Freud puisqu‟il est à la fois le gardien du sommeil tout en étant la réalisation d‟un désir infantile enrobé dans un désir actuel.
Ŕ Elle avait imaginé que l‟analyste était devenu un corps pneumatique et souple, et qu‟il venait s‟étendre sur elle pour la recouvrir complètement. Une autre analysante, en me décrivant ce phénomène, l‟avait dénommé : l’amour-édredon. Ŕ Une précieuse indication nous est aussitôt apportée sur ce mode de recouvrement : chaque partie de l‟un des corps vient se coller à la partie correspondante de l‟autre. Cela ne peut qu‟évoquer pour nous le célèbre mythe que Platon a placé dans la bouche d‟Aristophane dans Le Banquet (189a à 192c). L‟un des commentateurs de cet ouvrage en a dit que « c’est ce qu’on peut appeler la théorie de l’âme-sœur » 1. C‟est un peu pompeux : disons simplement que c‟est le mythème de l‟âme sœur. Par ce biais nous rejoignons à nouveau l‟ouvrage plus haut cité de René Nelli. À cette occasion je vous signale que Claudia Ajaimi vient de rédiger une vignette clinique où le mythème de l‟âme sœur est mis en relation d‟une manière saisissante avec la déroute du désir à la ménopause. Son texte sera disponible la semaine prochaine.
Ŕ Dernière remarque à propos de ce rêve : le moment qui succède à l‟orgasme est en continuité avec le moment qui le précède. En cela aussi la sexualité féminine diffère grandement de ce qui est réputé être la sexualité masculine courante : de type convulsif. Le rêve antérieur que l‟analysante se remémore à l‟occasion du rêve actuel est une sorte de raccourci. Ici le moyen de locomotion ce sont les jambes. La marche se rapporte au déduit à l‟instar de la promenade en voiture. Le rapport sexuel fait appel à l‟enveloppement (il m’entoure de son bras), et l‟acte sexuel se résume comme plus haut à un léger baiser effleurant le visage. De même, ici encore le réveil figure l‟orgasme avec la propagation d‟une sensation de chaleur.
Ŕ La manière dont les deux corps s‟apparient ici forme un complet contraste par rapport à la manière dite « bizarre » et « incompréhensible » décrite plus haut avec l‟image du rivet. L‟analysante rejette cette conception du rapport sexuel le réduisant à la réunion de deux zones génitales. Ce sont toutes les parties de l‟un des corps qui doivent s‟apparier aux parties correspondantes de l‟autre corps, la zone génitale ne bénéficiant d‟aucun privilège.
Le troisième pan du triptyque confirme judicieusement le style propre de la jouissance typiquement féminine déjà décrite, tout en apportant un élément fondamental nouveau. Après que l‟analysante ait raconté le rêve récent de la promenade en voiture, et qu‟elle se soit remémorée le rêve antérieur d‟une promenade à pied, la voilà qui se souvient d‟une rêverie encore plus an-
Ŕ Ici encore, la propagation de la sensation de chaleur par tout le corps vient au premier plan pour décrire ce type de jouissance. Propagation, envahissement, ce sont là des termes qui s‟oppo1
54
ROBIN (1951), notice à son éd. du Banquet, p. LX.
sent à spasmes et convulsions. De même que la zone génitale ne bénéficiait d‟aucun privilège, l‟orgasme non plus ne bénéficie d‟aucune prérogative.
rait tout pour y parvenir. Comme le remarque Piéra Aulagnier : les hommes se méfient en général de la passion, alors que les femmes en font en général leur affaire personnelle 1. J‟y insiste : elles donneraient tout, absolument tout, pour y parvenir. Un terme de botanique serait ici convenable : pour devenir l‟objet de la passion de l‟autre, la femme entre en déhiscence. L‟organe clos s‟ouvre le long d‟une suture et livre tout son pollen comme une anthère. Le sujet veut disparaître dans une totale démission de soi au service de l‟autre. L‟oblativité, dont j‟ai touché un mot à l‟axiome précédent, mène à cette pente qui constitue une forme très répandue de déroute du désir à la ménopause. La pente infernale est celle-ci : démission, reddition, dépouillement, Ŕ allant jusqu‟à l‟avilissement. Qu‟on songe au père Goriot de Balzac (1835) qui se dépouille de tout en faveur de ses filles, au film L’Ange Bleu de Sternberg (1930), au mystique qui vise l‟abnégation en faveur de son dieu. C‟est bien à tort qu‟on parle de la passion du père Goriot pour ses filles, ou de celle du mystique pour son dieu. La flèche est orientée exactement en sens contraire. Il s‟agit d‟employer tous les moyens dont on dispose pour être soimême l‟objet de la passion de l‟autre. Chez le sujet déhiscent, l‟injonction féroce du Surmoi est de tout faire pour que l‟autre ne manque de rien, attendu que : « Si je le comble, il m’aimera en retour ». Les dégâts sont incommensurables : c‟est l‟enfer sur terre, sans un mot de plainte ou la moindre consolation. Il n‟est pas inexact de parler de folie, car le sujet déhiscent est mégalomane (côté Moi·Idéal), et il se vit en héros (côté Idéal·du·Moi).
Ŕ Finalement, nous avons encore une dernière précision de prime importance. L‟analysante nous dit : « nous restons comme ça sans bouger, sans nous mouvoir, (sans faire l’acte sexuel). » Après le désaveu de la zone génitale et celui de l‟orgasme, voici un troisième désaveu qui frappe le rapport sexuel en sa matérialité d‟acte. Pour nous résumer, retenons que cette partie de la sexualité féminine qui échappe au primat phallique est irradiante et non-convulsive. On peut estimer soit qu‟elle s‟attarde par prédilection aux préalables, soit qu‟elle se refuse à conclure. En tout cas, c‟est un état et non pas une tâche. En arabe : Innahou ħālon wa laysa majhoūdon ~ ٌﻪﻧﺇ ُﻝﺎﺣ ٌﺲﻴﻟﻭ َﺩﻮﻬﺠﻣ
8
Ce qu’il en coûte, → ou la Déhiscence
Il est un prix à payer pour tout ça : on renonce purement et simplement au bonheur. C‟est la capitulation. Trois raisons se trouvent agissantes : (1) D‟une façon générale, qu‟on soit homme ou femme, peu de gens pensent mériter d‟être heureux sur terre, cette vallée de larmes. (2) Chez les femmes, la revendication phallique ne meurt jamais. Enfin, (3) pour une femme, être heureuse c‟est toujours un acquis au détriment de la mère, c‟est l‟enterrer vive. Ces trois raisons sont mentionnées par la plupart des bons auteurs. Je ne m‟y attarde donc pas. Je relèverai plutôt un autre point insuffisamment reconnu. Être support de passion, être pour l‟autre un besoin, une exigence vitale : une femme donne-
En voici deux exemples : Ŕ Une jeune fille de bonne famille (famille nombreuse), ayant été dépucelée par un mauvais 1
55
AULAGNIER (1967), « Remarques sur la féminité... », pp. 76-79.
rade 2. Et ces partenaires pervers (et méchants) sur qui elles jettent leur dévolu ne manquent pas en général de satisfaire fort bien à ce désir, si bien qu‟elles s‟effondrent souvent et viennent parfois nous consulter. J‟y reviens pour ajouter que, contrairement à ce qu‟on serait tenté de penser à première vue, la claque est salutaire, et ces pervers font le bien malgré eux. Cela ne veut pas dire que la claque ne fait pas mal, mais elle permet d‟éviter un plus grand mal : la déhiscence. La claque agit comme un brutal réveil, elle permet à ces femmes d‟avoir un sursaut salutaire, même s‟il est au prix d‟un effondrement psychologique temporaire.
garnement recherché par la police, veut absolument se marier avec lui et lier indissolublement sa vie à la sienne. Pourtant, elle ne l‟aimait pas ! Ŕ Une femme de qualité, mère de famille et divorcée, s‟acheminant vers l‟âge critique, rencontre un homme de bien d‟un certain âge, souffrant dans son corps, dans son ambition, dans sa virilité et dans son caractère. Dans un moment de folie, elle décide de l‟épouser et de lui donner un enfant, un fils. Dans ces deux cas, de même que pour la Mrs C... de Zweig (1927), le désastre a été évité de justesse par un concours de circonstances fortuit. Il est arrivé qu‟au moment de la plus grande fragilité, à ce moment où le sujet est prêt à basculer et à entrer en déhiscence, son partenaire lui balance (par inadvertance ou par jactance) une claque. Le support psychologique, réclamé après coup dans un sursaut d‟amour-propre et de lucidité, est venu seulement consolider ce dégagement accidentel. Mais combien d‟évasions manquées faut-il compter pour un seul succès circonstanciel de cet ordre. Dans les deux cas cités, l‟analyse a montré que les choix d‟objet de ces folies de la maternité amoureuse étaient des « enfants trouvés » à qui il fallait procurer Ŕ à son corps défendant Ŕ une « famille » : sacrée famille !
La clinique offre parfois un matériel saisissant. Je me suis récemment occupé du cas de ces femmes de quarante ans qui craquent pour des homosexuels 1, ou, ce qui peut parfaitement en tenir lieu, des hommes d‟un certain âge frappés d‟impuissance génésique. Mon analyse visait à montrer que ces femmes sont, en fait, désireuses de recevoir une claque, autrement dit un brutal rappel à l‟ordre au sujet de la féminité masca-
AZAR (2004c), « Pourquoi des femmes de quarante ans craquent-elles pour des homosexuels ? »
AZAR (2004d), « Leçons de chose sur l‟éternel féminin & les transports amoureux à partir de Sarrasine de Balzac ».
1
2
56
HORS-TEXTE : Le triptyque de l’amour synonyme Là, je me sens très satisfaite et relâchée. (C‟est comme après un orgasme). Je me réveille pour remarquer que je suis en retard pour le travail. J‟avais oublié de remonter le réveil-matin.
1. Premier rêve ous sommes en réunion, et elle vient de se terminer. L‟animateur discute avec François Bisset à propos de quelque chose en ma présence. Je me trouve ensuite avec l‟animateur dans sa voiture. Nous discutons à propos d‟un texte, et je parle quant à moi de synonymes. Il me dit : « Tu ne sais pas comment étudier les synonymes ? Je te l’ai expliqué, je crois, une fois. » (Je pense que j‟ai déjà entendu ça, mais je ne me rappelle plus de quoi il s‟agit). Il prend un dictionnaire et y cherche un mot qu‟il met en liaison avec le mot du texte dont j‟ai parlé, et cela d‟une manière bizarre à laquelle je ne comprends rien. Mais je ne lui demande pas de me l‟expliquer bien que je l‟aurais voulu. J‟avais voulu d‟autre part lui demander de me prêter un livre que j‟avais l‟intention de lire auparavant, mais je ne l‟ai pas fait non plus. Puis, je sens que je glisse dans le sommeil sur le siège de la voiture. Ce siège est en position couchette, et je me trouve tête-bêche confortablement étendue dessus. Je me sens vraiment relâchée et sur le point de m‟endormir. Je vois par la fenêtre que nous venons de dépasser la bifurcation qui va chez moi. Je ne dis rien tellement je me sens relaxée, mais je me demande pourquoi il ne s‟est pas arrêté pour me laisser descendre. Je pense aussi que nous sommes le samedi après-midi : il doit être occupé, peut-être a-t-il même un rendez-vous ? Lui, il continue à conduire et nous parlons de je ne sais quoi. Il s‟adresse à moi d‟une manière chaleureuse. La voiture s‟arrête lentement. Je pense que nous sommes arrivés chez lui. Je lui dis, tout en étant trop relâchée : « Je me sens fatiguée. » Il s‟approche de moi et me dit tendrement : « Tu es fatiguée ? », et il me donne un tout léger baiser sur le visage, à peine senti, mais qui m‟envahit toute entière d‟un sentiment extraordinaire, très chaleureux, qui me réveille.
N
2.
Ce rêve en rappelle aussitôt un autre, fait depuis longtemps Je suis dans un endroit quelconque, peut-être sur mon lieu de travail. Je discute avec mon supérieur (dont je suis vaguement amoureuse) de quelque chose en marchant. Puis, celui-ci s‟approche de moi et m‟entoure de son bras, puis il approche son visage du mien comme pour me donner un léger baiser sur le visage. Le même sentiment que celui du rêve précédent m‟envahit, et je me réveille.
3.
Après quoi resurgit un fantasme élaboré plusieurs années auparavant sur le divan dans un état de relaxation et de somnolence Je sens que mon analyste se présente comme un corps gonflé et malléable, et il m‟envahit de son corps tout en étant étalé au-dessus de moi sur le divan. Chaque partie de son corps colle bien sur la partie correspondante du mien. Nous restons comme ça sans bouger, sans nous mouvoir, (sans faire l‟acte sexuel). Je suis envahie d‟un sentiment très chaleureux.
57
Bibliographie ABI-AAD, Élias 2000 « Les affreux jojos de Germinal », in ’Ashtaroût, cahier hors-série n° 3, septembre 2000, pp. 150-158.
2004f 2004g
AJAIMI, Claudia 2004 « La déroute du désir à la ménopause & le mythème de l‟âme sœur », in ’Ashtaroût, bulletin volant n° 2004∙1020, octobre 2004, 6 p. (Repris ici même, pp. 62-67)
2004h 2004i
AULAGNIER-SPAIRANI, Piera 1967 « Remarques sur la féminité et ses avatars », in Ouvrage Collectif, Le Désir & la perversion, Paris, Seuil, 1967, pp. 53-79, et discussion pp. 80-89.
2004j
AZAR, Amine 1989 « Le syndrome du fil à la patte dans l‟hystérie féminine », paru in Psychanalyse à l’Université, 1989, tome XIV, n°53, pp. 105-112 ; repris avec une relance in ’Ashtaroût, cahier hors-série n° 4, novembre 2000, pp. 100-107. 1996 « Le sentiment de l‟insolite : relation d‟une rencontre du troisième type entre Freud et le Chaperon Rouge placée sous le signe du complexe de castration », in Annales de Psychologie & des Sciences de l’Éducation, Université Saint-Joseph, Beyrouth, vol. 12-13, années 1996-1997, pp. 61-82. 2000a « Notule sur les archives secrètes de Freud », in ’Ashtaroût, cahier hors-série n° 3, septembre 2000, pp. 146-149. 2000b « Le destin exemplaire de Louise Colet, une femme de lettres tout à fait ordinaire », in ’Ashtaroût, cahier horssérie n° 3, septembre 2000, pp. 94-106. 2000c « La sémiothèque de l‟hystérie », in ’Ashtaroût, cahier hors-série n° 4, novembre 2000, pp. 66-99. 2002a « L‟instance de l‟autre·jouisseur illustrée par des exemples pris chez Zola, Schreber & le marquis de Sade », in ’Ashtaroût, cahier hors-série n° 5, déc. 2002, pp. 22-40. 2002b « Malèna... ou le fantasturbaire de Renato & Giuseppe », in ’Ashtaroût, cahier hors-série n° 5, déc. 2002, pp. 46-59. 2003a « L‟inceste est-il concevable ? », in ’Ashtaroût, bulletin volant n° 2003∙0726, juillet 2003, 23 p. 2004a « Défense & illustration des cycles de la vie du point de vue psychanalytique », in ’Ashtaroût, bulletin volant n° 2004∙0318, mars 2004, 10 p. 2004b « Liminaire pour une approche psychanalytique des climatères masculin & féminin », in ’Ashtaroût, bulletin volant n° 2004∙0412, avril 2004, 28 p. 2004c « Pourquoi des femmes de quarante ans craquent-elles pour des homosexuels ? », in ’Ashtaroût, bulletin volant n° 2004∙0522, mai 2004, 2 p. 2004d « Leçons de choses sur l‟éternel féminin & les transports amoureux à partir de Sarrasine de Balzac », in ’Ashtaroût, bulletin volant n° 2004∙0615, mai 2004, 17 p. 2004e « Pour une esthétique différentielle des sexes d‟un point de vue psychanalytique, Ŕ Kant avec Lacan », in ’Ashtaroût, bulletin volant n° 2004∙0704, juillet 2004, 3 p.
2004k 2005a
« Le degré zéro du développement libidinal », in ’Ashtaroût, bulletin volant n° 2004∙0709, juillet 2004, 3 p. « Que veut la femme ? Ŕ À propos de la phénoménologie de l‟attente », in ’Ashtaroût, bulletin volant n° 2004∙0918, septembre 2004, 5 p. « Les perversions sexuelles au regard de la sexualité féminine », in ’Ashtaroût, bulletin volant n° 2004∙0925, septembre 2004, 6 p. « La folie de la maternité amoureuse : conceptions freudienne & (pseudo) lacanienne », in ’Ashtaroût, bulletin volant n° 2004∙1014, octobre 2004, 16 p. « La folie de la maternité amoureuse : conception balzacienne », in ’Ashtaroût, bulletin volant n° 2004∙1015, octobre 2004, 13 p. « La sexualité féminine réduite à quelques axiomes », in ’Ashtaroût, bulletin volant n° 2004∙1016, octobre 2004, 18+2 p. « En translacanie, faut-il traiter les réveils-matins de tous les noms ? », in ’Ashtaroût, bulletin volant n° 2005∙0417, avril 2005, 3 p.
AZAR & SARKIS 1993 Freud, les femmes, l’amour, préface de G. Mendel, Nice Z‟éditions, in-8°, 1993, 213p. BALZAC, Honoré de (1799-1850) 1830 « Sarrasine », in OdB, tome 12, et BdP, tome 6. 1835 Le Père Goriot, éd. P.-G. Castex, Paris, Classiques Garnier, 1963, in-12. 1839 [Béatrix : Ière et IIe parties.] Béatrix ou les amours forcés. Repris in OdB, tome 9, et BdP, tome 2. 1845 [Béatrix : IIIe partie.] Les Petits manèges d’une femme vertueuse, ou la lune de miel. Repris in OdB, tome 9, et BdP, tome 2. • 1951 : OdB, tome 9, préface de Julien Gracq. • 1962 : édition de Maurice Regard, Paris, Garnier, in-12, LX+535p. & 20 illustr. • 1976 : éd. de Madeleine Fargeaud, BdP, tome 2. • 1979 : préface de Julien Gracq [1951], notice et notes de Vinvenette Claude Pichois, Paris, collection GarnierFlammarion n°327, in-12, 377p. BdP La Comédie Humaine, édition publiée sous la direction de Pierre-Georges Castex, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1975-1981, 12 vol. OdB L’Œuvre de Balzac, publiée dans un ordre nouveau sous la direction d‟Albert Béguin et de Jean A. Ducourneau, présentée par des écrivains d‟aujourd‟hui, avec des notes et éclaircissements de Henri Evans, Paris, Club Français du Livre, in-8°, 16 vol., 11949 sqq., rééd. 21963. BARANDE, Robert 1972 « Pourrions-nous ne pas être ‛‛pervers” ? Psychanalystes, encore un effort ! », in Ouvrage Collectif, La Sexualité 58
perverse, études psychanalytiques, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1979, pp. 231-256.
FINK, Bruce 1997 A Clinical introduction to lacanian psychoanalysis : theory and technique, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1999, in-8°, X+297p.
BARDET, J.-P., & alii 1981 La Première fois..., Paris, Ramsay, gd in-8°.
FREUD, Sigmund GW → Gesammelte Werke, en 18 vol. SE → Standard Edition, en 24 vol. OCF → Œuvres Complètes de Freud, en 21 vol.
BEAUVOIR, Simone de (1908-1986) 1949 Le Deuxième sexe, Paris, Gallimard, Idées, 2 vol. in-12, 1979, 511 et 505p. BERGERET, Jean, & alii 1972 Abrégé de psychologie pathologique théorique & clinique, Paris, Masson, 31979, in-8°, X+325p.
FREUD, Sigmund (1856-1939) 1890a « Traitement psychique (traitement d‟âme) », trad. franç. in Résultats, idées, problèmes, tome I, Paris, PUF, 1984, pp. 1-23. 1895b « Du bien-fondé à séparer de la neurasthénie un complexe de symptômes déterminé, en tant que ‛‛névrose d‟angoisse” », in GW, 1 : 313-342 ; SE, 3 : 85-115 ; OCF, 3 : 29-58. 1909c « Le roman familial des névrosés », in SE, 9 : 237-241 ; traduction française in Névrose, psychose & perversion, Paris, PUF, 1973, pp. 157-160. 1912-1913 Totem & tabou : quelques concordances entre la vie psychique des sauvages et celle des névrosés, traduit de l‟allemand par Marielène Weber, Paris, Gallimard, in-12, 1993, 353p. OCF, 11 : 189-385. 1912c « Des types d‟entrée dans la maladie névrotique », in GW, 8 : 322-330 ; SE, 12 : 231-238 ; OCF, 11 : 117-126. 1916-1917 Leçons d’introduction à la psychanalyse, traduit de l‟allemand par Ferdinand Cambon, Paris, Gallimard, in-12, 1999, XIV+633p. (OCF, 14) 1917c « Des transpositions pulsionnelles, en particulier dans l‟érotisme anal », GW, 10 : 402-410 ; SE, 17 : 127-133 ; trad. franç. in La Vie sexuelle, Paris, PUF, 1969, pp. 106-112 ; OCF, 15 : 55-62. 1918a « Le tabou de la virginité », trad. franç. in La Vie sexuelle, Paris, PUF, 1969, pp. 66-80 ; OCF, 15 : 79-96. 1918b « À partir de l‟histoire d‟une névrose infantile », in SE, 17 : 1-122 ; OCF, 13 : 1-118. (Texte rédigé en 1914). 1919h « Das Unheimliche » [L‟insolite], in GW, 12 : 229-268 ; SE, 17 : 219-256 ; trad. franç. sous le titre « L‟inquiétante étrangeté » in Essais de psychanalyse appliquée, Paris, Gallimard, 1933, pp. 163-211 ; OCF, 15 : 151-188. 1921e « Psychologie des masses et analyse du moi », in OCF, 16 : 5-83. 1923e « L‟organisation génitale infantile (à intercaler dans la théorie sexuelle) », GW, 13 : 291-298 ; SE, 19 : 141-145 ; OCF, 16 : 303-309. 1924d « La disparition du complexe d‟Œdipe », GW, 13 : 395-402 ; SE, 19 : 173-179 ; OCF, 17 : 27-33. 1925b « Die Verneinug », in GW, 14 : 11-15 ; SE, 19 : 235-239 ; OCF, 17 : 165-171. 1925j « Quelques conséquences psychiques de la différence des sexes au niveau anatomique », GW, 14 : 19-30 ; SE, 19 : 248-258 ; OCF, 17 : 191-202. 1928b « Dostoïevski et la mise à mort du père », in GW, 14 : 399-418 ; SE, 21 : 117-194 ; OCF, 18 : 205-225.
BERNHEIM, Hippolyte (1840-1919) 1916 De la suggestion, Paris, Retz, Bibliothèque du CEPL : Les Classiques de la Psychologie, petit in-4°, 1975, 215p. (Chap. 2, in fine.). BONNET, Gérard 1991 Le Transfert dans la clinique psychanalytique, Paris, PUF, in-8°, 1991, 320p. (IIe partie, chap. 6) CHARCOT, JEAN-Martin (1825-1893) 1892 « La foi qui guérit », rééd. in Charcot & Richer, Les Démoniaques dans l’art, Paris, Macula, in-4°, 1984. CHILAND, Colette 1997 « La naissance de l‟identité sexuée », in Lebovici-Diatkine-Soulé (dir.), Nouveau Traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Paris, PUF, 1997, tome I, pp. 297-317. 1999 « L‟identité sexuée », in Revue Française de Psychanalyse, 1999, tome LXIII (4), pp. 1251-1263. CONSTANT, Benjamin (1767-1830) 1816 Adolphe, anecdote trouvée dans les papiers d’un inconnu, édition de Jacques-Henry Bornecque, Paris, Garnier, in-12, 1955, éd. illustrée 1963, CXXI+333p. DENON, Vivant (1747-1825) 1777 Point de lendemain, édition de Michel Delon, Paris, Gallimard, Folio, 1995, in-12. DEUTSCH, Helene (1884-1955) 1945 La Psychologie des femmes, étude psychanalytique, tome II : Maternité, trad. d‟après la 7e éd. américaine par le Dr Hubert Benoit, Paris, PUF, in-8°, 1955², VIII+421p. DIDIER, Béatrice 1981 « François le champi et les délices de l‟inceste », in L’Écriture-femme, Paris, PUF, Écriture, 11981, 21991, pp. 139-152. DOR, Joël 1987 Structure & perversions, Paris, Denoël, in-8°, 285p. FENICHEL, Otto 1930 « The psychology of transvestism », repris in Robert Fliess (dir.), The Psychoanalytic reader, New York, International Universities Press, 1948, 19733, pp. 5-20. 1936 « The symbolic equation : Girl = Phallus », in Collected papers, 2d series, New York, Norton, 1954, pp. 3-18. 59
1933a Nouvelles conférence d’introduction à la psychanalyse, traduit de l‟allemand par Rose-Marie Zeitlin, Paris, Gallimard, in-12, 1984, 265p ; OCF, 19. 1941f « Ergebnisse, Ideen, Probleme », in GW, 17 : 151-152 ; SE, 23 : 299-300 ; trad. franç. in Résultats, idées, problèmes, tome II, PUF, 1985, pp. 287-289. [Textes de 1938].
HARBOYAN, Tamar 2004 « Comment les brus se transforment en belles-mères », in ’Ashtaroût, bulletin volant n° 2004∙0812, août 2004, 2 p. (Repris ici même, pp. 72-73) JONES, Ernest (1879-1958) 1955 La Vie & l’œuvre de Sigmund Freud, tome II (les années de maturité), traduit de l‟anglais par Anne Berman, Paris, PUF, in-8°, 1961, XII+515p.
FREUD, Sigmund, & JONES, Ernest 1993 Correspondance complète (1908-1939), éditée par R. Andrews Paskauskas, trad. de l‟anglais et de l‟allemand par P.-E. Dauzat & collab., Paris, PUF, petit in-4°, 1998, 941p.
JULIEN, Philippe 2000 Psychose, Perversion, Névrose : la lecture de Jacques Lacan, Ramonville Saint-Agne, Érès, in-8°, 191p.
FRIEDMAN, Leonard J. 1962 Virgin wives, a study of unconsummated marriages, forword by M. Balint, London, Tavistock, 1971, in-8°, XIII+161p.
KAPLAN, Louise J. 1991 Female perversions, the temptations of Madame Bovary, London, Penguin, 1993, in-8°, [IX]+580p.
GAUTIER, Théophile (1811-1872) 1835 Mademoiselle de Maupin, éd. Adolphe Boschot, Paris, Garnier, in-12, 1955, XXXIII+382p.
KRAFFT-EBING, Richard von (1840-1902) 1892 « Bemerkungen über „geschlechtliche Hörigkeit‟ und Masochismus », in Jahrbücher für Psychiatrie, X, 1892, pp. 199-211.
GILLESPIE, W. H. 1964 « The psycho-analytic theory of sexual deviation with special reference to fetishism », in Ismond Rosen (dir.), The Pathology and treatment of sexual deviation, London, Oxford University Press, 1964, pp. 123-145.
LACAN, Jacques (1901-1981) 1970 « Liminaire », in Scilicet, 1970, n° 2-3, pp. 3-6. 1964 LE SEMINAIRE Ŕ Livre XI : Les Quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse (1964), Paris, Seuil, 1973, rééd. PointsEssais n°217, 1990, in-12, 316p. 1972-73 LE SEMINAIRE Ŕ Livre XX : Encore (1972-1973), Paris, Seuil, 1975, grand in-8°, 139p.
GLOVER, Edward 1956 On the early development of mind, New York, International Universities Press, in-8°, 1970, IX+483p. 1968 The Birth of the Ego, London, Allen & Unwin, in-8°, 125p. (Traduction franç. & présentation par Jacques Chazaud : La Naissance du Moi, Toulouse, Privat, 1979, in-8°, 219p.)
LAPLANCHE, Jean 1970 Vie & Mort en psychanalyse, Paris, Flammarion, collection Champs n°25, 1977, in-12, 219p. 1989 « Terminologie raisonnée », in André Bourguignon & alii, Traduire Freud, Paris, PUF, 1989, pp. 73-151.
GRACQ, Julien 1951 « Préface » à BALZAC : Béatrix, in OdB, tome IX, pp. 223-235, reprise in Béatrix, Garnier-Flammarion n° 327, 1979, pp. 17-27.
LAPLANCHE, J., & PONTALIS, J.-B. 1967 Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, PUF, in-4°, XIX+523p.
GRANOFF, W., & PERRIER, F. 1964 « Le problème de la perversion chez la femme et les idéaux féminins », in La Psychanalyse, 1964, n°7, pp. 141-199. Réédité sous le titre : Le Désir et le féminin, Paris, Aubier Montaigne, in-8°, 1979, 113p.
LAZNIK, Marie-Christine 2003 L’Impensable désir : féminité & sexualité au prisme de la ménopause, Paris, Denoël, L‟Espace Analytique, in-8°, 320p.
GRIMAL, Pierre 1951 Dictionnaire de la mythologie grecque & romaine, préface de Charles Picard, 2e éd. corrigée, Paris, PUF, in-8°, 1958², XXXI+579p.
LEACH, Edmund 1966 « Virgin birth », trad. franç. sous le titre : « Les viergesmères » in L’Unité de l’homme & autres essais, Paris, Gallimard, 1980, pp. 77-107.
GRUNBERGER, Béla 1964 « Jalons pour l‟étude du narcissisme dans la sexualité féminine », in J. Chasseguet-Smirgel (dir.), La Sexualité féminine, recherches psychanalytiques nouvelles, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1975, pp. 101-126.
LEONE, Sergio (1829-1989) 1983 Once upon a time in America / Il était une fois en Amérique, film de 3h40, staring Robert de Niro et Elizabeth McGovern entre autres. LORAUX, Nicole 1982 « Ce que vit Tirésias », paru in L’Écrit du Temps, 1982, n°2, pp. 99-116, repris in Les Expériences de Tirésias, le féminin et l’homme grec, Gallimard, 1989, pp. 253-271 et notes pp. 365-368.
GUEYDAN, Madeleine 1991 Femmes en ménopause : les transformations psychiques d’une étape de vie, Toulouse, éd. Érès, Clinamen, in-8°, 264p.
60
LOUŸS, Pierre (1870-1925) 1896 Aphrodite, mœurs antiques, édition présentée, établie et annotée par Jean-Paul Goujon, Paris, Gallimard, Folio, in-12, 1992, 407p. 1898 La Femme & le pantin, roman espagnol, édition établie, présentée et annotée par Michel Jarrety, Paris, LGF, Livre de Poche, in-12, 2001, 192p. illustr.
ROTH, Philip 2001 The Dying animal / La Bête qui meurt, Trad. de l‟américain par Josée Kammoun, Paris, Gallimard, Du Monde Entier, 2004, in-8°, 137p. SAND, George (1804-1876) 1848 François le champi, préface et commentaires de Maurice Toesca (1983), notes de Marie-France Azéma, Paris, LGF, Livre de Poche n°4771, in-12, 1999, 224p.
MAUROIS, André (1885-1967) 1952 Lélia ou la vie de Georges Sand, Paris, Hachette, in-8°, 565p. 1965 Prométhée ou la vie de Balzac, Paris, Hachette, in-8°, 655p.
SCHREBER, Daniel Paul (1842-1911) 1903 Mémoires d’un névropathe, trad. de l‟allemand par Paul Duquenne & Nicole Sels, Paris, Seuil, in-8°, 1975, 390p.
MINKOWSKI, Eugène (1885-1972) 1933 Le Temps vécu : études phénoménologiques et psychopathologiques, Neuchâtel (Suisse), Delachaux & Niestlé, Actualités Pédagogiques et Psychologiques, in-8°, 1968, III+402p.
SISSA, Giulia 1987 Le Corps virginal : la virginité féminine en Grèce ancienne, préface de Nicole Loraux, Paris, Vrin, in-8°, 210p.
MONTRELAY, Michèle 1970 « Recherches sur la féminité », paru in Critique, juillet 1970, n° 278, repris in L’Ombre & le nom, Paris, Minuit, 1977, pp. 55-81. 2001 « Entretien avec Michèle Montrelay », in Alain DidierWeil, Quartier Lacan, rééd., Paris, Flammarion / Champs, 2004, pp. 181-195.
STERNBERG, Josef von (1894-1969) 1930 Der Blaue Engel / L’Ange Bleu, film de 1h48, staring Marlene Dietrich.
NODIER, Charles (1780-1844) 1820 « Des types en littérature », repris in Rêveries, Paris, Plasma/Les Feuilles Vives, 1979, in-12, pp. 47-58.
STOLLER, Robert J. 1975 La Perversion : forme érotique de la haine, trad. de l‟américain par H. Couturier, Paris, Payot, in-8°, 1978, 222p. 1979 L’Excitation sexuelle, dynamique de la vie érotique, traduit de l‟américain par H. Couturier, Paris, Payot, 1984, 342p. 1984 « La perversion et le désir de faire mal », in Nouvelle Revue de Psychanalyse, 1984, n°29, pp. 147-171. (Version remaniée in L’Imagination érotique telle qu’on l’observe, 1985, chap. 1er, pp. 19-66.) 1985 L’Imagination érotique telle qu’on l’observe, traduit de l‟américain par Colette Chiland et Yvonne Noizet, Paris, PUF, Le Fil Rouge, in-8°, 1989, 284p.
PLANCHE, Gustave (1808-1857) 1834 « Essai sur Adolphe », extraits reproduits par Patrick Berthier dans les documents qui suivent son éd. de La Muse du département de Balzac [1843], Paris, Gallimard, Folio, 1984, nlle éd. 1999, pp. 312-319.
WARNER, Marina 1976 Alone of all her sex :the myth and cult of the Virgin Mary, London, Picador, in-8°, 1985, XXXV+400+XIX p. & 40 pl. (Trad. de l‟anglais par Nicole Ménant : Seule entre toutes les femmes, Paris, Rivages/Histoire, 1989, 423p. & 40 pl.)
PLATON 1929 Le Banquet, texte grec établi & traduit par Léon Robin, précédé d‟une notice, Paris, Belles Lettres, 10 e tirage, 1976, petit in-8°, CXXIII+93+93 p. 1983 Le Banquet, traduction de B. et Renée Piettre, présentation & commentaires de Bernard Piettre, préface de Jacqueline de Romilly, Paris, Nathan, « Les Intégrales de Philo », petit in-8°, 128p., illustr.
ZOLA, Émile (1840-1902) 1885 Germinal, in tome III des Rongon-Macquart, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1964.
NABBOUT, Randa 2005 « La déhiscence féminine au foyer », in ’Ashtaroût, bulletin volant n° 2005∙0517, mai 2005, 14 p. NELLI, René 1952 L’Amour & les mythes du cœur, Paris, Hachette, in-12.
ZWEIG, Stefan (1881-1942) 1927 Vingt-quatre heures de la vie d’une femme, traduction et introduction par Olivier Bournac et Alzir Hella, révision de Brigitte Vergne-Cain et Gérard Rudent, rééd., Paris, LGF, Livre de Poche n°4340, in-12, 2004, 128p.
REAGE, Pauline 1954 Histoire d’O, avec une préface de Jean Paulhan, Paris, Pauvert, 1966, in-12, XXI+249p.
ROSOLATO, Guy 1967a « Étude des perversions sexuelles à partir du fétichisme », in ouvrage collectif, Le Désir & la perversion, Seuil, 1967, pp. 7-40, discussion pp. 41-52. 1967b « Généalogie des perversions », repris in Essais sur le symbolique, Paris, Gallimard, 1969, pp. 264-286. 61